Dossiers Musicologiques - Symphonique

Beethoven les 9 symphonies

Beethoven
Monuments gigantesques trônant au milieu de l’histoire de la musique, les 9 symphonies de Ludwig van Beethoven retracent aussi le parcours de vie du compositeur.
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Clefs de voûte de la tradition orchestrale, les symphonies de Beethoven connaissent toujours le même engouement de la part du public. Le compositeur a en effet réussi à faire sien un langage qui parle directement à l’esprit et au cœur.

L’œuvre de Beethoven (1770-1827) s’est construite à travers les épreuves : elle s’inscrit dans le vaste bouleversement tragique de son époque, se projette sur l’avenir, et fait du compositeur l’homme des temps nouveaux. Tous les exégètes ont insisté sur l’aspect hors du commun d’un véritable démiurge, capable de déchaîner les puissances et de les vaincre jusqu’à nous « faire entendre l’inouï » (Berlioz). À cet égard, les neuf Symphonies participent de l’évolution personnelle du compositeur ne présentant pas un ensemble homogène si l’on compare les premiers essais à la Neuvième Symphonie. Que de différence entre ce jeune homme « dont le profil se guinde encore au-dessus d’un habit à collerette, presque étriqué, d’où sort une tête déjà puissante, et cet homme mûr, ombrageux, à la démarche rapide, brusque et étourdie, à la mise peu soignée boutonnant à-la-diable des redingotes fatiguées, voire trouées, coiffé de chapeaux raidis de pluie et perdu dans ses pensées ! » (Jean Chantavoine).

Plus encore que Mozart et surtout Haydn, Beethoven affirme sa liberté – celle de l’esprit des Lumières – et fonde son acte créateur sur les sentiments démocratiques enseignés par Jean-Jacques Rousseau, la Révolution française et l’épisode bonapartiste. Pour lui la musique jouera le même rôle que la littérature et la philosophie en vue d’édifier une nouvelle conception du monde. Beethoven, tout en fréquentant l’aristocratie viennoise, sûr de son génie, acquiert progressivement l’indépendance mais les Cinquième et Sixième Symphonies sont toutefois dédiées à ses mécènes, le comte Razumovsky et le prince Lobkowitz. Il ne fut jamais un compositeur engagé au sens politique du terme ; en quête de respectabilité, sa demande pour occuper un poste officiel ne fut jamais retenue, à son grand regret. En fait, sa musique s’adresse à la multitude, et la seule hiérarchie qu’il reconnaisse sera celle de l’esprit, fidèle à la dialectique hégélienne et à la philosophie kantienne. Il devra lutter contre la surdité qui l’isolera de ses prochains, et au désir de plaire substituer une vie de combat, de lutte solitaire où l’art seul le retient au monde en particulier pendant le quart de siècle durant lequel il composera ses Symphonies. Ne disposant plus que « des oreilles de l’esprit », toutes les audaces lui sont permises et lui permettent d’ouvrir un monde parfois déconcertant pour ses contemporains, mais d’une empreinte indélébile bien que paralysante pour ses successeurs (Brahms n’écrira sa Première Symphonie qu’à l’âge de quarante-trois ans après avoir abordé la plupart des autres genres).

Un ensemble conquis de haute lutte

La création symphonique de Beethoven court sur un laps de temps relativement bref (de 1799 à 1824), mais à la différence de Mozart, connaît une remise en cause permanente où chaque motif et chaque accord souvent raturés rageusement sont en perpétuelle transformation. Faite de ruptures, elle ne cherche pas à bouleverser le cadre formel de la symphonie, conservant la répartition en quatre mouvements et le principe de la forme sonate tout en s’en libérant dans la durée. Beethoven ne compose que neuf d’entre elles alors que Mozart en laisse plus de quarante et Haydn plus de cent. À la place du menuet, il substitue un scherzo plus dynamique qui s’écarte de la tradition de Cour, et dans la Neuvième fait intervenir les voix solistes et la force d’expression du chant collectif des chœurs. Si les Symphonies nos 1 et 2 prennent leurs sources dans le classicisme mozartien ou haydnien, la Symphonie n° 3 « Héroïque » marque une rupture avec ses 2325 mesures, la plus vaste du cycle des Symphonies à l’exception de la Neuvième, partageant la mélodie entre plusieurs groupes instrumentaux dans son premier mouvement annonçant Schönberg et Webern. Il accorde une importance beaucoup plus grande au tempo et se montre sensible aux évolutions en cours, telle l’invention du métronome en 1816 par son ami Johann Nepomuk Maelzel qu’il pastiche dans l’Allegretto scherzando de la Huitième Symphonie.

Plusieurs périodes à distinguer

Pour des raisons de commodité, les musicologues ont longtemps fait usage de la classification de Wilhelm von Lenz (aujourd’hui remise parfois en cause) pour identifier les diverses manières du compositeur, divisant en trois périodes l’évolution de son style. Les premiers projets symphoniques remontent à 1785 mais il faudra attendre le 2 avril 1800 pour que Beethoven livre au public viennois à l’âge de trente ans sa Symphonie n° 1 en ut majeur op. 21, cinq ans après les Londoniennes de Haydn et douze ans après la Symphonie « Jupiter » de Mozart. Le compositeur fait ici preuve d’originalité tout en alignant une structure conventionnelle. L’émotion et la force des contrastes, les sforzandos, les syncopes y font leur apparition. En quelque sorte, Beethoven prend déjà congé de la symphonie haydnienne et n’y reviendra que sporadiquement (cf. la Symphonie n° 8), repoussant désormais les limites du genre en augmentant la capacité expressive et en innovant sur le plan de l’énergie rythmique et de la dimension spatio-temporelle.

En 1802, alors qu’il rédige le testament de Heiligenstadt et se dit tenté par le suicide, Beethoven compose la Symphonie n° 2 en ré majeur op. 36 d’une vitalité juvénile et d’une profusion d’idées mélodiques avec une pulsation qui s’écarte des schémas en vigueur.

La Troisième Symphonie « Héroïque » en mi bémol majeur op. 55 mettra trois ans à voir le jour de 1802 à 1805 et s’inscrit dans la seconde période. En dehors de son impact historique (la dédicace à Bonaparte déchirée quand le libérateur de l’Europe devient l’Empereur Napoléon), elle crée une rupture par sa durée (environ 3/4 d’heure), son énergie, ses dissonances, sa construction organique et l’opposition entre la verticalité rythmique et l’horizontalité mélodique. Elle ouvre une nouvelle ère qui sera la marque de fabrique de Beethoven, proche des idées de la Révolution française (en particulier dans la « Marche funèbre ») et des principes inculqués à Bonn par son professeur Christian Gottlob Neefe attaché aux valeurs de la franc-maçonnerie et de ses idéaux.

La Symphonie n° 4 en si bémol majeur op. 60 (1807) a toujours souffert de l’ombre de ses deux voisines ; véritable joyau de musique pure, elle était la préférée d’Igor Stravinski sans doute pour son équilibre et son sens du détail. Berlioz, enthousiasmé par l’interprétation de Habeneck à la Société des Concerts en 1830, voyait dans l’Adagio le sommet émotionnel qui « surpasse tout ce que l’imagination la plus brûlante rêve de tendresse et de pure volupté. » Le final virtuose, d’une légèreté insouciante tel un mouvement perpétuel et non dénué d’humour a influencé Bizet dans sa Symphonie en ut.

La Cinquième en ut mineur créée le 22 décembre 1808 avec la « Pastorale », le Concerto n° 4 pour piano et la Fantaisie Chorale prend le destin à la gorge et pense l’œuvre dans la durée. La coda conclusive est déjà en germe dans les accords de l’Allegro con brio initial qui débute sur une formule rythmique (trois croches et points d’orgue) haletante et pathétique.

Dans la Sixième « Pastorale », Beethoven décrit certes les impressions face à une nature qu’il vénère, mais évite de tomber dans la musique à programme en un tableau très suggestif (la violence de l’Orage puis l’accalmie qui lui succède) cherchant avant tout à évoquer une atmosphère.

La Septième en la majeur op. 92 baptisée « L’Apothéose de la danse » par Wagner et composée quatre ans après appelle rythme, gaieté frénétique et épanchement lyrique avec l’Allegretto, marche solennelle lourde de pressentiments, le Scherzo roboratif et l’Allegro final, parade militaire idéalisée qui balaie sans aucune retenue tout sur son passage.

La Huitième en fa majeur op. 93 (1812), explosion d’humour avec un joyeux canon en hommage à Maelzel, est comme une délivrance après la séparation d’avec « l’immortelle bien-aimée ».

Il faudra trente ans de tâtonnements à Beethoven pour achever la Neuvième en ré mineur (1824) qui porte à son comble l’idéal classique mais le subvertit jusqu’à atteindre une puissance inégalée par la fusion des chœurs dont l’exaltation constituera un exemple pour les romantiques dont Mendelssohn (Symphonie n° 2 « Lobgesang » datant de 1841) ou plus tard Mahler (avec la Symphonie n° 2 « Résurrection » de 1900).

Les effectifs des Symphonies de Beethoven correspondent peu ou prou à ceux des dernières Symphonies de Haydn et, sur ce plan, peu de modifications ont été apportées par lui (avec des effectifs d’environ quarante ou soixante exécutants). Comme le souligne Brigitte François-Sappey dans son Histoire de la Musique en Europe (Puf, 1992), seuls un troisième cor dans l’ « Héroïque », un piccolo, un contrebasson et trois trombones dans le final de la Cinquième ainsi que quatre cors dans la Neuvième apportent un complément dans l’instrumentation classique. S’y ajoutent une émancipation des cordes (les contrebasses dans la Cinquième ou l’Orage de la Pastorale) et l’apport amplifié d’une percussion spectaculaire (les timbales dans le Scherzo de la Neuvième ou encore la percussion turque du final de la même symphonie). Pendant des années, les orchestres ont utilisé un matériau souvent déformé par des erreurs de copie. Outre Igor Markevitch (1912-1983) qui a proposé une analyse historique et musicale des Symphonies (chez Peters), les éditions Bärenreiter ont entrepris depuis 1996 une révision à partir des autographes d’origine des manuscrits dont font usage aujourd’hui certains chefs d’orchestre, alors que d’autres utilisent la nouvelle édition de Breitkopf & Härtel, proche des intentions d’un musicien germain, pourtant admiratif des musiciens français de son temps (Méhul, Cherubini ou Gossec).

Une œuvre universelle

Depuis le xixe siècle, la notion d’interprétation des Symphonies de Beethoven a donc connu des évolutions significatives. Après les lectures dans la tradition brucknérienne, on est revenu à une conception plus proche de l’esprit qui a présidé à la composition de ces partitions. Entre la conception métaphysique de Furtwängler et celle dépoussiérée par le courant baroque autour d’Harnoncourt, Brüggen, Gardiner, Norrington, ou plus récemment Herreweghe et Savall, une véritable révolution copernicienne s’est opérée. Appelées à l’universalité, les Symphonies de Beethoven sont devenues des marqueurs de notre civilisation, en particulier avec l’illustre motif de quatre notes de la Cinquième emporté dans les vaisseaux spatiaux Voyager I et II. Quant à l’Ode à la joie de la Neuvième, il a été repris comme Hymne européen mais dans une instrumentation d’Herbert von Karajan très discutable mais toujours lucrative pour ses héritiers.

Gageons qu’à la Philharmonie de Paris, le cycle Beethoven dirigé par le jeune chef Dinis Sousa (remplaçant John Eliot Gardiner) à la tête de l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique en compagnie du Monteverdi Choir dans une quasi-intégrale des Symphonies ne manquera pas d’apporter un sang nouveau à la tradition d’interprétation. Pour sa part, Klaus Mäkelä et l’Orchestre de Paris sauront sans nul doute insuffler à la Symphonie n° 9 « cette force qui va », et faire surgir un immense chant d’amour à l’Humanité tout entière.

 

Michel Le Naour

Repères

  • 1770

    naissance de Beethoven
  • 1800

    Symphonie n° 1
  • 1802

    Symphonie n° 2
  • 1804

    Symphonie n° 3
  • 1806

    Symphonie n° 4
  • 1808

    Symphonies n° 5 & 6
  • 1812

    Symphonies n° 7 & 8
  • 1824

    Symphonie n° 9
  • 1827

    mort de Beethoven

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