Dossiers Musicologiques - Symphonique

Mahler La Symphonie no 5

Mahler
Gustav Mahler sut concilier une brillante carrière de chef d’orchestre avec la composition d’œuvres puissantes et novatrices.
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Cette symphonie est une œuvre très novatrice dont l’orchestration éblouissante et l’intense expression consacrent la résurrection du genre.

La Symphonie n° 5 a été écrite au cours des étés 1901 et 1902 à Mayernigg, où Mahler possédait une villa au bord du Wörthersee. L’extraordinaire énergie vitale qui en émane peut s’expliquer par les circonstances favorables de sa composition : les succès enregistrés en tant que Directeur de l’Opéra de Vienne, la rencontre début 1901 d’Alma Schindler, fille du célèbre peintre, séduisante, musicienne et cultivée, et le mariage qui s’ensuit rapidement et, enfin, l’accueil favorable de sa musique par le public. Une hémorragie qui met ses jours en danger, en février 1901, est peut-être à l’origine de l’ambivalence de la partition : la mort rôde déjà, en effet, au détour des mesures de la première partie, même si la marche funèbre et les chevauchées démoniaques lui tenant lieu de développement aboutissent à un choral irradié de joie (partie médiane du mouvement 2).

Résurrection de la symphonie

Cette nouvelle symphonie symphonie marque une rupture avec celle terminée un an auparavant et peut être tenue pour la première grande réalisation de la seconde période créatrice. En effet, à la différence des symphonies de Bruckner qui se ressemblent, celles de Mahler sont très dissemblables ; « chacune engendre la suivante ou lui fait place  […], elles ont à la fois un air de famille incontestable, tout en s’opposant par ailleurs, comme des frères et des sœurs de caractère différent » (Jean Matter).Il faut les aborder comme autant de chapitres d’un même livre. La Cinquième est un chapitre très important : le premier de la période médiane qui regroupe les symphonies purement instrumentales (V, VI et VII) et les Kindertotenlieder. Elle succède à la période initiale, celle du « Voyageur » (symphonies I à IV, Lieder des Knaben Wunderhorn et eines fahrenden Gesellen). Au cours de cette dernière, le Lied apparaît comme le mode d’expression naturel du musicien, avec tout ce que cela implique de référence à la tradition populaire, aux légendes et à la nature. Parallèlement s’est forgée une approche personnelle de la symphonie, qui intègre les éléments du Lied (texte littéraire et programme et palette orchestrale élargie à la voix humaine) et emprunte à Bruckner l’ampleur de ses proportions et de sa taille. Paradoxalement, une forme brève (le Lied) engendre, en se croisant avec la forme symphonique, une gigantesque construction.

Avec la V, Mahler revient à un timbre purement instrumental. « Avec elle, […], l’auteur se montre dans la plénitude de ses facultés et à l’apogée de sa science. Après avoir élargi un corpus sonore richement équipé au moyen des voix, il revient à la forme originelle de la symphonie avec une maîtrise qui fait de l’appareil sonore différencié de l’orchestre le véhicule de sa conception du son. »(Bruno Walter) Alors qu’auparavant, comme la plupart des musiciens du xixe siècle, il rédigeait ses projets symphoniques sous forme d’une esquisse préalable au piano, orchestrée ensuite, désormais, ils sont réalisés d’emblée dans leur instrumentation, la pensée orchestrale se présentant directement avec son timbre. Par ailleurs, ce retour à la forme purement symphonique emprunte à la première manière ses vastes proportions : non seulement quant au profil général de l’édifice (5 mouvements), mais aussi quant au tissu instrumental, à la fois élargi, complexe et finement travaillé, exigeant souvent des instrumentistes la virtuosité d’un soliste. Pour l’auteur, « grâce à ma connaissance approfondie de l’orchestre et de ses instruments, des phrases et des passages extrêmement hardis ont-ils pu glisser de ma main à la partition. » Ainsi la Cinquième peut-elle être tenue pour l’accomplissement ultime et glorieux de la forme musicale fondée 150 ans plus tôt par les Classiques viennois. D’autre part, l’attachement à la tradition populaire affiché dans les œuvres de la première période prévient ce retour à la symphonie pure contre toute tentation trop abstraite, préservant, grâce à des tournures populaires allant même jusqu’à la rengaine, la compréhension de l’œuvre par le grand public. Avec elle, et contrairement aux affirmations de Debussy qui proclamait un peu vite son décès, la symphonie prend un nouveau départ, avec une plénitude, une virtuosité et une force d’expression sans précédent.

Feu d’artifice orchestral

L’orchestre est considérable : bois légèrement élargis, 6 cors, harpe, percussion très élargie (avec glockenspiel, slapstick, tamtam…). Malgré l’absence de programme explicite, on perçoit une orientation de l’ombre vers la lumière : la Cinquième est à ce titre dans le sillage de la Neuvième de Beethoven. Le rapport de ses 5 mouvements avec le plan traditionnel d’une sonate n’est pas évident ; en réalité, le génie de Mahler réside dans l’extrême plasticité du matériau, les thèmes se métamorphosent et revêtent de nouveaux masques, se prêtent à des développements dans des mouvements ultérieurs (le choral du mouvement 2 réapparaît dans le final ; le thème élégiaque de l’Adagietto sert de sujet à la fugue du final…). Conformément à la conception nouvelle d’une pensée d’emblée instrumentale, ces thèmes se présentent prédestinés pour tel ou tel instrument. Les deux premiers mouvements s’associent pour former la première partie de la symphonie : la Marche funèbre débute par l’incisive fanfare de la trompette, qui donne à la symphonie sa signature, aussi fameuse que la célèbre attaque de la Cinquième de Beethoven. Cordes et vents scandent un piétinement sinistre, interrompu par l’explosion de réjouissances paillardes (« mangeons et buvons tant qu’il est temps ! »), avant le retour du convoi et la conclusion : pour Adorno, il s'agit du summum de « l’accomplissement négatif » cher à Mahler. Le mouvement 2, « agité comme un orage », fait office d’un vaste développement des thèmes de la Marche, mêlés à des chevauchées angoissées dont les sonorités rudes et stridentes se résolvent sur un éclatant choral (une nouvelle perspective : joie et lumière). Conclusion désincarnée et lugubre, sur la scansion de la timbale. L’immense Scherzo (partie II) confirme la détente amorcée par le choral : s’il résonne de la joie des faubourgs (valses et laendler), ce n’est pas sans arrière-pensées, car l’instrumentation et la polyphonie fragmentent ces rengaines et leur donnent un caractère acide et sardonique ; la méditation conserve ses droits. Immortalisé par un célèbre film italien, l’Adagietto ouvre la partie III ; réduit à la rêverie délicate et tendre des cordes sur les pulsations de la harpe, il contraste avec les fanfares jusqu’ici prééminentes. Il aboutit au Rondo final, véritable hymne à la joie et au contrepoint. C’est en effet une monumentale double fugue dont les expositions successives font office de refrain, qui occupe l’essentiel du terrain. Ainsi se donne libre cours la prédilection de l’auteur pour les vastes structures et le beau contrepoint : magnifique vaisseau baroque, inondé de lumière, preuve magistrale que la fugue recèle d’infinies potentialités d’effusions romantiques, glorieusement couronnées par le choral de joie.

 

Michel Fleury

Repères

  • 7 juillet 1860

    naissance à Kalischt en Bohême
  • 1875-1878

    études au conservatoire de Vienne
  • 1888-1891

    directeur de l’opéra de Budapest
  • 1888

    Symphonie n° 1 « Titan »
  • 1891-1897

    premier chef d’orchestre à Hambourg
  • 1894

    Symphonie n° 2 « Résurrection »
  • 1896

    Symphonie n° 3
  • 1897-1907

    directeur de l’opéra de Vienne
  • 1900

    Symphonie n° 4
  • 1902

    Symphonie n° 5
  • 1904

    Symphonie n° 6 « Tragique », Kindertoten Lieder
  • 1905

    Symphonie n° 7
  • 1906

    Symphonie n° 8
  • 1908

    Das Lied von der Erde
  • 1910

    Symphonie n° 9
  • 18 mai 1911

    mort à Vienne

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