Portraits d'artistes - Compositeur

Olga Neuwirth compositrice iconoclaste

Olga Neuwirth Partager sur facebook

Le Festival Présences 2025 accueille cette année l’une des figures majeures de la création, Olga Neuwirth. Depuis près de trois décennies, la compositrice autrichienne déploie un langage qu’on serait tenté de qualifier d’avant-garde si ce n’était un refus admirable de se plier à toute contrainte, qui dynamite toute catégorisation.

La scène musicale française n’a jamais cessé d’écouter la musique d’Olga Neuwirth mais il faut se réjouir du vaste panorama que Présences 2025 lui consacre, ouvrant comme de coutume d’intéressantes perspectives par la présence d’autres compositeurs. Compositeurs notamment français car, malgré certaines déconvenues liées à des projets importants, Olga Neuwirth « aime toujours la France », pour reprendre ses propos : « Mon attachement pour ce pays a toujours été là, il a commencé avec Baudelaire, Hugo, le cinéma avec Méliès, sans oublier l’aspect politique avec une personnalité telle que Simone de Beauvoir. J’ai séjourné à Paris très jeune avec mes parents, nous allions à tous les musées et nous lisions tous les auteurs importants de l’époque. J’ai été également très intéressée par l’architecture de Paris, notamment les fameux passages. Alors, oui, la culture française a toujours été là et fait partie de mes influences. »
Quelle meilleure observatrice de notre culture qu’Olga Neuwirth, musicienne autrichienne née à Graz en 1968, qui a parcouru le monde dès ses années d’apprentissage ? Sans doute y retrouve-t-elle des affinités définissant sa propre quête artistique : « Il est très difficile de définir la culture française, qu’on peut appréhender sous tellement d’angles. Elle a toujours essayé d’être inventive, de cultiver des pensées très critiques sur les idées sociales, politiques ou artistiques. Elle questionne mais aussi fixe des règles. Si vous prenez Hugo, vous voyez ses écrits, qui sont immenses mais qui, sans cesse, cherchent à changer les choses, à les améliorer, à avancer en interrogeant le passé. Et il n’y a même pas la nécessité d’obtenir des résultats. Je dirais qu’il y a derrière tout cela la curiosité. »  En 1993, Olga Neuwirth pose ses valises à Paris pour étudier, à l’Ircam, avec Tristan Murail qui lui ouvre les portes de l’univers si singulier de Luigi Nono. 

Toujours changeante, toujours mouvante

Les amoureux des passages parisiens construits sous le Second Empire le savent : pour découvrir leurs beautés innombrables et secrètes, il faut une déambulation lente, parfois rêveuse, s’arrêter devant des boutiques emplies de merveilles inattendues, dans une mosaïque colorée et toujours surprenantes. Telle est la musique d’Olga Neuwirth, toujours changeante, toujours mouvante. Malgré l’ampleur des moyens mis en œuvre à Radio France, choisir les œuvres n’eut rien d’une sinécure : « Nous avons cherché à obtenir la plus grande diversité dans mes partitions qui sont très nombreuses. Il y avait bien sûr certaines restrictions, je dirais d’ordre bureaucratique. J’aurais aimé avoir plus de pièces de mes très jeunes années, les années 1980 et 1990, dans lesquelles j’ai effectué des expérimentations avec la vidéo, par exemple. De même, j’ai réalisé des installations comme celle pour l’exposition Documenta 12 à Kassel en 2007 mais il était impossible de les reproduire ici. Mais j’ai essayé de donner un petit aperçu de ce que j’ai fait pendant mes 40 ans de carrière. » 
La passion d’Olga Neuwirth pour la littérature et, spécialement, ses relations étroites avec une autre personnalité intensément engagée, l’écrivaine Elfriede Jelinek, pourraient faire penser que là réside sa principale source d’inspiration. Que nenni : « Ce n’est pas totalement exact mais répondre à cette question est difficile. J’ai grandi dans un monde artistique à Vienne que ma famille connaissait très bien. Toutes les formes d’art m’ont influencée, ce qui n’a pas toujours été facile car tous ces éléments ont fini dans mes compositions et tenter de les noter à la nanoseconde près est extrêmement éprouvant. Je dois avouer que je préfère bien plus utiliser de grands coups de pinceau que de peindre dans le détail. En tout état de cause, je pense quand même que la grande influence a été le cinéma et c’est d’ailleurs là que j’ai débuté. » 

L’art du temps qui passe

L’image, l’écran se sont donc avérés fondamentaux dans la formation de la compositrice : « Je suis d’une génération, celle des années 1980, qui a découvert la possibilité de passer d’une chaîne à l’autre sur la télévision, de voir des choses très différentes. Durant ma jeunesse, j’étais une sorte de compositrice Tik-Tok : dans ma musique, on basculait d’un monde à l’autre en un clin d’œil. En vieillissant, j’ai bien sûr un peu changé. Ma musique demeure très dense mais la forme est plus longue. » 
Sa proximité avec le cinéma n’est pas sans soulever son lot de difficultés : « On peut avoir l’impression que le cinéma et la musique sont très similaires, parce qu’ils ont en commun d’être un art du temps qui passe. Or, ce n’est pas la même temporalité. J’ai fait un projet avec un réalisateur et c’était très étonnant. Lorsqu’il voulait une durée plus longue, je disais non et à l’inverse, quand j’avais besoin de plus de temps, il me disait qu’il trouvait ça ennuyeux et voulait couper. Mais la question de la temporalité est aussi complexe dans le domaine de l’opéra. Je pense que certaines personnes n’aiment pas mes opéras parce qu’elles sont habituées à la grande forme, alors que je travaille davantage dans le détail, avec beaucoup de changements. » Rappelons que sa collaboration avec Elfriede Jelinek débute dès les années 1997, avec notamment l’opéra Bählamms Fest créé au Wiener Festwochen ou encore Lost Highway d’après le film de David Lynch, créé finalement à Graz en 2003.
Au Festival Présences 2025, l’opéra ne sera pas tout à fait représenté, pour des raisons fort logiques. On écoutera toutefois avec beaucoup d’attention Orlando’s World, suite qu’Olga Neuwirth a tirée de son opéra Orlando créé à l’Opéra de Vienne en 2023. Une œuvre emblématique entre toutes nous sera offerte, cet Hommage à Klaus Nomi écrit en 1998 et qui illustre l’amour d’Olga Neuwirth pour les personnalités marginales ou plutôt marginalisées par la société. À l’inverse du spectre musical, Tombeau, commande de Radio France pour Présences 2025, sera un hommage à une personnalité qui a joué un rôle important dans la carrière d’Olga Neuwirth : « J’ai fini cette pièce il y a un an, car je savais qu’il me fallait travailler sur un opéra pendant la période du festival 2025. Il s’agit d’une manière d’hommage à Pierre Boulez pour orchestre et des échantillonneurs de l’Ircam qui a été et est toujours un lieu important pour moi, qui me permet de travailler puis d’intégrer l’électronique dans mes propres ressources. »

Esprit critique

Cinéma, littérature, sciences naturelles et, dans le domaine sonore, jazz, blues, variétés, rock, quatuor à cordes, orchestre, voix, électronique : il n’est pas grandiloquent d’écrire qu’Olga Neuwirth constitue un monde à elle toute seule. Reconnue par les instances les plus officielles, elle n’en continue pas moins d’affirmer cette singularité rebelle qui n’appartient qu’à elle. Est-elle une musicienne iconoclaste ? Oui : « Je ne veux pas qu’on m’enferme dans une petite cage. Je ne sais pas si je suis iconoclaste mais j’aime questionner les choses, c’est comme ça que j’ai grandi. J’aime à le dire, quand on a été punk un jour, on reste punk toujours, même si on fait un travail sérieux. Jeune, j’étais sans doute plus audacieuse mais plus craintive également. 40 ans plus tard, quoi que je fasse, on me donnera tort. De ce fait, je veux juste faire ce que je veux. »
Une résolution qui prend un surcroît d’importance dans un monde actuel où la culture semble promise au couteau sacrificiel et qui se traduit par un cri de presque rage : « Pour moi, tout est terminé pour notre musique qui a toujours et constamment été remise en question. Elle n’est pas populaire et ne le sera jamais, elle est la première victime des coupes. Cela fait 20 ou 25 ans que l’on parle, que l’on voit le monstre grandir à travers la membrane de l’œuf du serpent, pour reprendre le titre de ce film tellement beau d’Ingmar Bergman. On ne peut plus stopper la vague qui déferle actuellement, mais il faut continuer à espérer parce que l’être humain ne peut pas survivre sans espoir. Nous avons le devoir de rester honnête dans notre musique, de faire en sorte qu’elle procure de l’émotion tout en conservant notre esprit critique. »

 

Yutha Tep - publié le 31/01/25

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