Portraits d'artistes - Orgue

Olivier Latry l'orgue en majesté

Olivier Latry Partager sur facebook

Sacré « roi des instruments », l’orgue fascine authentiquement les foules. Il n’en est que plus surprenant de constater que les organistes ne jouissent pas toujours d’une notoriété digne du prestige incomparable et, surtout, des compétences musicales requises par cette véritable mécanique divine aux complexités infinies. Olivier Latry, toutefois, figure parmi les musiciens « stars » de notre temps, maître reconnu aux quatre coins du monde, titulaire notamment de l’orgue de Notre-Dame de Paris et virtuose que les compositeurs de notre temps sollicitent régulièrement. Rencontre.

À la Maison de la Radio, avec le Philharmonique de Radio France dirigé par l’étincelante Ariane Matiakh, Olivier Latry retrouve une partition qu’il a interprétée à plusieurs reprises, ce Waves de Pascal Dusapin, concerto que le compositeur préfère intituler « Duo pour orgue et orchestre ». La création française de Waves s’est effectuée en février 2021 dans une Philharmonie de Paris vidée de son public par les restrictions sanitaires alors en vigueur : de ce fait, ce concert à Radio France peut être qualifié d’authentique création française.

Pour le public parisien, la vaste production de Pascal Dusapin demeure avant tout connue par son versant théâtral ; bien moins mentionnée est son affection de toujours avec un instrument qui, d’une certaine manière, l’a poussé dans les bras de la muse sonore. Ce que rappelle Olivier Latry : « Je dois dire que ce n’est pas mal écrit du tout pour l’orgue ! Pascal Dusapin n’a écrit qu’une pièce pour orgue seul mais il l’utilise par exemple dans l’un de ses derniers opéras, Macbeth underworld. Il a travaillé l’orgue à la Schola Cantorum avec Jean Langlais et a donc des notions claires de l’instrument.  »

Le geste musical avant les notes

Le mieux étant l’ennemi du bien, si l’on en croit la sagesse populaire, compositeur et organiste ont dû s’atteler, comme de coutume, à trouver un langage commun : « Pascal n’hésite pas, il ne se pose pas de limite et essaie des choses dont nous discutons après. Il est venu à Notre-Dame et je lui ai montré certaines manières d’utiliser les harmoniques de l’orgue. En particulier, il y a ce que l’on appelle les jeux de mutation qui ne donnent pas la note réelle : à l’orgue, on peut obtenir une note de mi, de sol, de si bémol ou de ré tout en jouant un do ! Évidemment, cela séduit toujours les compositeurs et Pascal utilise cette technique dans de nombreux passages à l’orchestre. Nous avons beaucoup discuté de la manière dont cela pouvait sonner. Mon expérience avec d’autres œuvres orchestrales me poussait à dire qu’il valait mieux éviter d’en abuser. Pascal possède un art de l’orchestration absolument incroyable, d’un raffinement exceptionnel, et il a tenu compte de mes conseils. Dans tout le début de la partition, on a l’impression d’avoir des harmonies supplémentaires à l’orgue grâce à l’orchestre, qui apparaissent et disparaissent pour enrichir une note ou la transformer, c’est étonnant. Ce fut vraiment un travail de collaboration, parce que je n’ai pas hésité à lui demander des modifications, car le geste musical est plus important que les notes. »

Il va sans dire que le compositeur a tiré profit de la suprême virtuosité d’Olivier Latry : « La partition est extrêmement difficile, d’abord parce que la musique de Pascal est monomodique, comme souvent chez lui, et il est très facile de ne pas être ensemble avec l’orchestre. En outre, il y a deux cadences redoutables. Elles sont entièrement écrites car même si je joue seul durant quelques mesures, l’orchestre intervient au début et à la fin de ces cadences, ce qui rend très compliqué pour moi d’improviser au milieu. Mais j’ai créé des concertos où je pouvais improviser. Thierry Escaich par exemple a écrit une cadence dans son Concerto pour orgue n° 3 mais il m’a laissé la liberté de la remplacer par une improvisation. Il en va de même avec celui d’Esa-Pekka Salonen, dont j’ai créé le concerto il y a quelques années. »

Le lot quotidien des organistes

Pour le concert à huis clos à la Philharmonie de Paris, Olivier Latry avait touché l’instrument construit par la maison allemande Rieger ; à la Maison de la Radio, ce sera l’orgue du facteur espagnol Renzing : « Cela change du tout au tout. Il y a en premier lieu la question de l’ergonomie : il y a des normes pour une console d’orgue mais elles ne sont jamais vraiment respectées et chaque facteur fait un peu ce qu’il veut. Chaque orgue est différent et les claviers, par exemple, ne sont jamais placés au même endroit. On dénomme les claviers de cette manière : le premier clavier, le plus important, s’appelle le grand orgue ; le deuxième est le positif et le troisième le récit. Mais le placement de ces claviers varie selon les instruments. Ainsi, à la Philharmonie, le grand orgue est placé en premier alors qu’à Radio France, il est installé en deuxième position. Il peut y avoir également une petite différence entre l’aplomb du pédalier et celui des claviers selon les cas. Tout cela oblige l’organiste à changer ses réflexes. C’est notre lot quotidien mais c’est comme si l’on demandait à un tireur d’élite de changer ses paramètres à chaque fois. C’est à la fois astreignant et passionnant ».

En matière d’instrument, toutes les pensées sont bien sûr tournées vers l’orgue le plus célèbre du monde, à savoir celui de la Cathédrale Notre-Dame de Paris, miraculeusement épargné par le terrible incendie de 2019 (sans en sortir totalement indemne), dont Olivier Latry est l’un des titulaires. L’organiste a bien sûr suivi avec la plus grande attention sa réinstallation au terme de l’entreprise colossale de reconstruction : « L’orgue est remonté complètement depuis plus d’un an déjà. En revanche, est en train de se faire l’harmonie, c’est-à-dire la mise en son de chaque tuyau, et elle sera achevée pour la réouverture de la cathédrale en décembre. Ces travaux sont très surveillés parce que les facteurs d’orgue œuvrent régulièrement, sans oublier les experts qui viennent contrôler de manière hebdomadaire leur avancée. Et nous autres, les titulaires de l’orgue, passons aussi pour constater l’avancée des travaux et leur progression. Pour l’instant, je n’arrive pas vraiment à me projeter dans l’avenir, nous verrons le moment venu. Il y aura sans doute beaucoup de joie après mais pour le moment, c’est le stress qui prime ».

Que nul ne s’inquiète : très certainement, aux côtés de ses collègues titulaires de l’orgue, Olivier Latry conférera un éclat particulier à la résurrection de cet instrument glorieux. 

 

Yutha Tep - publié le 13/09/24

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