Maria João Pires plénitude & partage
Fidèle en amitié, la pianiste Maria João pires, outre son parcours exemplaire de concertiste, a toujours conçu la musique sous le signe du partage. À la Philharmonie, elle propose en un week-end de se fondre avec ses amis dans l’esprit fraternel des légendaires schubertiades.
Silhouette frêle mais volonté intacte, Maria João Pires a toujours attaché du prix à la profondeur de la musique plutôt qu’aux effets de manche ou aux apparitions médiatiques. Authentique, elle s’est sans cesse remise en question avec une fraîcheur, une pureté de ton ou une urgence qui émeuvent et continuent de surprendre. Mozartienne de tempérament, dès les années 1970, cette poétesse du clavier s’est confrontée pour le label Denon à une intégrale des sonates pour clavier qui fera date. Amoureuse du tissu harmonique de Chopin, elle se montre soucieuse de générosité et d’impétuosité beethovénienne en particulier avec le violoniste Augustin Dumay dans les Sonates pour violon et piano, et a toujours fait la part belle aux émois schubertiens. Avec intelligence, Maria João est entrée comme par miracle dans un univers où la tendresse et la transparence effacent toute tentation à la virtuosité extérieure. À l’orée de ses 80 ans, elle continue d’enchanter les mélomanes soit à quatre mains avec Martha Argerich ou avec Nelson Goerner cet été au Festival de Gstaad, soit dans des récitals à la simplicité sans fard.
Une vision empathique de la musique
À la Philharmonie, Maria João rendra hommage à Franz Schubert à travers le projet de Schubertiades, des instants privilégiés où jadis le compositeur viennois se retrouvait avec ses proches et amis pour échanger, découvrir de nouvelles productions, les interpréter avec comme seul but la joie d’être ensemble. Sa quête d’absolu l’a souvent conduite sur des voies de traverse où elle a défendu des valeurs exemptes de mondanité. À titre d’exemple, cette aventure menée à Belgais au Portugal dans le centre d’étude des arts qu’elle a créé au milieu d’un paysage de bout du monde pour réunir des artistes afin de leur transmettre sa propre philosophie de la vie : « Le projet initié autour de Schubert participe du désir d’entretenir une relation musicale faite de dialogue et d’absence d’ego. Jusqu’alors, je me suis produite dans le cadre de Schubertiades organisées dans de petites salles. À la Philharmonie (en attendant la Fondation Gulbenkian de Lisbonne), l’enjeu n’est pas le même. Il s’agit, dans un lieu de grande taille, non seulement de retrouver la tonalité spécifique de ces réunions amicales dont Schubert était friand, mais surtout de concevoir la musique comme une harmonie entre le public et les artistes présents pour renouer avec l’intimité qui a présidé aux Schubertiades. » Pour se faire, en dehors d’une scénographie savamment distillée, la pianiste portugaise a réuni avec elle une pléiade d’interprètes qui lui sont proches ou qu’elle connaît de réputation. Quatre concerts brossent un tableau à large spectre de l’œuvre de Schubert centrée sur le Quatuor « La Jeune Fille et la Mort », la Sonate « Arpeggione », le Trio et la Fantaisie ainsi que le Quintette « La Truite » : « À travers toutes ces partitions qui ne couvrent qu’une petite partie du corpus schubertien, le fil d’Ariane tient davantage du sens de l’improvisation que d’une construction préétablie. Schubert me tient à cœur depuis très longtemps par sa musique céleste et aussi la générosité dont il a fait preuve durant sa courte vie. Je ne cherche pas ici à me mettre en avant bien que je sois sur scène lors de ces concerts. Mon objectif consiste à construire une idée qui soit comprise du public autour d’un spectacle global conçu comme une entité et non comme une série d’œuvres mises bout à bout. Je pense que le public, en quittant la salle de concert, aura compris cette manière de penser qui essaie de retrouver quelque chose du caractère et de l’atmosphère des Schubertiades. »
Des interprètes placés sous le signe de l’amitié
La carrière exceptionnelle de Maria João Pires l’a mise en contact avec de nombreux musiciens de renom. Toutefois, très attachée à l’idée de transmission et de perception de la musique par un public jeune, elle a toujours été sensible à la notion d’échange auprès d’artistes de la nouvelle génération avec lesquels elle se sent en affinité : « Parmi les interprètes partie-prenante de ce cheminement schubertien, on aura l’occasion de découvrir le jeune baryton anglais Thomas Humphreys dans des lieder de Schubert ou des transcriptions faites par Liszt. Pour le premier concert, le Quatuor Hermès jouera le bouleversant Quatuor « La Jeune Fille et la Mort ».
La grande dame abordera elle-même certains monuments du compositeur : « Bien sûr, il est impossible de faire l’impasse sur la musique de piano. Seule, je donnerai la Sonate en si bémol D. 950 de Schubert, accompagnerai des lieder et serai aux côtés de Ricardo Castro ou encore de la talentueuse Lilit Grigoryan. Je me réjouis aussi de retrouver la sonorité chaleureuse du violoncelliste Antonio Meneses avec lequel j’ai eu l’occasion en 2012 d’enregistrer en public la Sonate « Arpeggione » au Wigmore Hall de Londres. Le Quintette « La Truite » qui sera donné lors du dernier concert est aussi l’expression de l’altruisme de Schubert qui a écrit cette œuvre pour remercier un ami violoncelliste chez lequel il était en vacances. C’est aussi un plaisir d’entendre en miroir les improvisations au piano de Thomas Enhco auxquelles répondront des pièces contemporaines dont celle composée par l’Africain du Sud Bongani Ndodana-Breen en référence au Quintette « La Truite » en clôture de ces Schubertiades. »
En 1997, Maria João Pires énonçait une forme de credo artistique qui a toujours valeur d’actualité : « Je vis le voyage des mille chemins, des larmes et des sourires confondus, de tous les enchantements, de tous les rêves pas encore rêvés et pas encore perdus. » Gageons que le large florilège schubertien dont elle se fait l’écho en compagnie de musiciens hors pair ne manquera pas pénétrer le tréfonds de l’âme, du cœur et de l’esprit.
Michel Le Naour