Alexandre Kantorow Transcendant
Premier français à remporter à Moscou la médaille d’or du légendaire concours Tchaïkovski de piano, Alexandre Kantorow affirme à 24 ans une maturité confondante. En résidence à Radio France pour la saison 2021-2022, la rentrée s’annonce pour lui particulièrement stimulante.
L’été musical aura été dense pour Alexandre Kantorow qui bénéficie auprès des organisateurs de concerts de l’aura consécutive à sa Victoire de la Musique en 2020 et surtout l’année précédente, à son triomphe moscovite. Sa participation à de nombreux festivals dont celui de Gstaad sous l’aile complice de Valery Gergiev et de ses troupes du Mariinski fin août ne lui aura guère laissé le temps de la contemplation et de ces randonnées qu’il affectionne. Seule entorse à une rentrée très chargée, quelques jours d’escapade à Belle-Île avant de reprendre le chemin du concert. Malgré son peu d’intérêt pour les réseaux sociaux qu’il juge utiles mais dont il use avec parcimonie comme il le fait du téléphone portable, Alexandre n’a pas eu trop à souffrir de la pandémie : « À la différence de nombre de mes collègues, la crise sanitaire n’a pas été difficile à vivre sur le plan musical. J’ai pu approfondir mon répertoire, travailler par exemple des œuvres de Chostakovitch et ai eu l’occasion au surplus de jouer à plusieurs reprises en Russie où les contraintes étaient moins drastiques qu’en France. J’ai en définitive eu beaucoup de chance. »
Un parcours sans faute
La carrière de ce pianiste prodige a commencé librement sans la contrainte qu’aurait pu susciter la présence de parents violonistes. Adolescent, bien qu’ayant débuté le piano à cinq ans, Alexandre s’intéresse plus au cosmos (son rêve est de devenir astronaute) mais finit par se passionner pour le clavier qu’il n’abandonnera plus. Dès l’âge de seize ans, son interprétation de la Fantaisie pour piano et orchestre de Beethoven avec l’Orchestre Pasdeloup témoigne déjà d’une autorité digne d’un soliste chevronné, puis René Martin l’invite aux Folles Journées de Nantes avec le Sinfonia Varsovia. Son professeur à l’École Normale, Rena Shereshevskaya – qui lui a transmis les clefs pour le préparer au Concours Tchaïkovki et auprès de laquelle il continue de se perfectionner – lui reconnaît une capacité d’adaptation peu commune : « C’est un sportif de haut niveau et il ne faut pas s’attacher à son côté flegmatique. En quelques jours, il peut s’imprégner des conseils qui lui sont prodigués, modifier son interprétation et la délivrer en public. J’ai pu le vérifier lorsqu’il m’a présenté la Rhapsodie de Bartók, une pièce qui demande une énorme préparation et qui exige en général des mois de travail. Quelques jours lui auront suffi ; souvent, il touche au génie et pour moi, c’est une forme de Michel-Ange ! » Le monde musical, unanime, a des yeux de Chimène pour ce jeune homme dont la présence en scène et le sens de l’improvisation subjuguent. Le critique Alain Lompech, à l’occasion de la sortie de son dernier CD Brahms, lui prédit dans la revue Classica un avenir dans l’ombre d’Arrau, Cziffra ou Richter. Il suffit de consulter sur YouTube sa prestation dans la Danse Macabre de Saint-Saëns pour comprendre combien sa liberté de ton, sa concentration et son art de la progression dramatique tiennent du miracle. Les influences auxquelles il peut se référer témoignent d’une belle diversité, mais l’univers slave occupe une place privilégiée dans sa formation entre Igor Laszko, professeur à la Schola Cantorum et Rena Shereshevskaya ensuite. Sans doute les origines de son père y sont-elles aussi pour quelque chose ; mais d’autres pianistes auront aussi sur lui une influence déterminante dans la connaissance de la musique française : Pierre-Alain Volondat, Frank Braley, Jacques Rouvier…. Dans son panthéon se côtoient Furtwängler, Sofronitsky, Horowitz et Pletnev qui ont en commun une même conception organique de la musique et dont il fait son miel.
Une riche actualité
En ce mois de septembre, Alexandre achève pour le label BIS l’intégrale des Concertos de Saint-Saëns avec son père Jean-Jacques à la direction : « Il reste à enregistrer les Premier et Second Concertos et je poursuis d’autre part mon approche du piano brahmsien avec les Deuxième et Troisième Sonates, la Chaconne de Bach qu’il a transcrite pour la main gauche et d’autres pièces. J’éprouve beaucoup d’affection pour ce compositeur et le message ambitieux qu’il porte. Cette musique entre ombre et lumière à la fois émouvante et intellectuelle me comble. C’est d’ailleurs son Deuxième Concerto que j’ai joué en finale du Concours Tchaïkovski. Je compte mener à bien la prospection de son œuvre pour clavier mais j’apprécie tout autant la richesse de sa musique symphonique. »
Belle rentrée à Radio France
Pour l’ouverture de saison, trois concerts sont prévus à Radio France : « J’aurai tout au long de l’année plusieurs collaborations avec l’Orchestre National lors de ma résidence. En septembre et octobre, j’interpréterai successivement à Paris le Second puis le Cinquième Concerto de Saint-Saëns que je présenterai aussi à Lyon dans l’Auditorium Maurice Ravel. Il s’agit de deux partitions qui font partie de mon ADN. » En outre, il s’associera à des musiciens de l’Orchestre National dans le Quintette pour piano et cordes de Franck : « C’est une œuvre secrète et dense que j’ai déjà eu l’occasion de jouer. J’éprouve de plus en plus le besoin de pratiquer la musique de chambre, un genre que j’ai fréquenté très tôt avec mes parents. »
Cerise sur le gâteau, il parraine cette année à Radio France de jeunes spectateurs de moins de vingt-huit ans dans un projet qui lui tient à cœur et dans lequel il compte s’investir pleinement. Il va sans dire que le clavier en majesté résonnera dans l’Auditorium de la Maison ronde servi par un artiste ailé dont les doigts parlent.
Michel Le Naour