Roger Muraro Chopin
On connaît sa manière admirable dans Debussy, Ravel ou Messiaen, conjuguant beauté du toucher, humilité rigoureuse devant le texte et poésie d'une élégante retenue. Roger Muraro y ajoute, dans le répertoire romantique, un lyrisme aussi noble qu'intense. Nouvelle preuve lors de deux concerts consacrés à Chopin au Théâtre des Champs-Élysées.
S'il est un terme que nul ne penserait à utiliser s'agissant d'un musicien d'une honnêteté suprême face à la partition, c'est bien celui de diva. Et pourtant : « Dans le Concerto n° 2 de Chopin, pour moi, le piano occupe bien le rôle d'une diva sur la scène d’opéra, il faut totalement l’assumer. J'ai adopté par le passé un ton plus intime mais c'est moins convaincant. Il faut bien sûr prêter attention à cet orchestre qui offre au soliste un grand confort et qu'à l'inverse de beaucoup, je trouve très intelligemment écrit. L’italianisme de ce concerto est plus important que dans le premier et il est très porteur, avec une grande joie sonore, un grand espace pour le cantabile, avec ces guirlandes merveilleuses dont Chopin était le roi, même si Liszt en a également écrites de merveilleuses. Et pour les jouer, il faut un peu avoir des mains en caoutchouc, comme les avait Chopin ».
Si Roger Muraro ne s'inscrit pas en faux contre le rapprochement coutumier fait entre l'orchestre de Chopin et celui de Mozart il le nuance toutefois et préfère ouvrir une autre perspective : « Je ne suis effectivement pas certain de cette comparaison. Une chose cependant réunit ces deux compositeurs, c’est la dimension vocale, même si le piano plus moderne de l’époque de Chopin lui permettait un choix de couleurs beaucoup plus variées. Ceci explique peut-être cela : au fond, le piano apportait toutes les saveurs dont il avait besoin, l’orchestre jouant alors un rôle de commentateur, d’écrin. »
Trois petits jours plus tard, dans le cadre des Concerts du Dimanche matin, le récital se placera sous l'égide d'un tout autre Chopin : « Dans les Préludes op. 28, on n’a pas le temps de s'épancher. La forme est extrêmement concise, tout est dit en peu de notes, et c’est là tout le danger de cette œuvre, beaucoup plus difficile sur le plan musical que les études, au fond. D’un prélude durant 30 secondes, on passe à un autre de 2 minutes qui offre un univers complètement différent et demande de tout autres moyens techniques. Brutalement, le pianiste se retrouve au bord de la falaise face à une virtuosité étourdissante. Ces préludes sont des petits camées, de petits tableaux de chevet, que l’interprète a le devoir d’explorer dans tous les recoins possibles. »
Grand architecte du piano, champion fabuleux des partitions les plus complexes, Roger Muraro va se livrer entièrement devant le public du Théâtre des Champs-Élysées pour rendre justice à un recueil que Chopin acheva durant une période difficile de sa vie, séjournant à Majorque pour tenter de soigner sa tuberculose : « Ces Préludes correspondaient vraiment, pour moi, à ce qu'il ressentait à ce moment, à ses impressions, voire à un pressentiment du drame à venir. On passe très vite de l’agitation à l’effroi, à la révolte mais aussi la mélancolie la plus tendre, le sourire baigné de larmes. Tout cela se déroule à une très grande vitesse. L’interprète doit se jeter corps et âme dans chacune des émotions que Chopin propose. »
Assurément, tout amoureux de piano – et de poésie – se devra d'assister à ces concerts.
Yutha Tep