François Lazarevitch 20 ans avec les "Saint-Julien"

Parmi toutes les personnalités qui animent la scène baroque française, François Lazarevitch se distingue par une approche très personnelle qui tisse des liens entre musiques savantes et traditionnelles. Ce mois-ci, on célèbre les 20 ans de son ensemble Les Musiciens de Saint-Julien.
La passion qui anime le flûtiste lorsqu’il évoque la musique ancienne n’a d’égale que son érudition dans ce domaine. Une vocation qui remonte à loin : « Enfant, je voulais être archéologue, j’aimais chercher des fossiles, j’aimais les choses du passé. J’ai rapidement commencé la musique, et autour de mes 15 ans j’ai découvert les répertoires anciens, que j’ai trouvé fascinants. Je trouve que c’est une musique qui fait du bien, j’y vois quelque chose d’harmonieux, de touchant. J’aime aussi les recherches qu’elle implique, aller au-delà de ce qu’on croit savoir, au-delà de la norme. » Ces recherches ont rapidement amené François Lazarevitch à se pencher sur d’autres répertoires : « Je me suis mis à pratiquer la musique irlandaise et les cornemuses, notamment celles d’Auvergne. J’y ai découvert un travail différent de l’oreille et de la mémoire. L’un des apports les plus précieux vint du contact avec les danseurs. Travailler avec eux en répétant encore et encore le même geste pendant des heures fut très formateur, on comprend la musique d’une autre manière. C’est un complément que je trouve presque indispensable à la lecture des traités anciens, qui sont certes une mine d’informations, mais qui restent théoriques. » Lorsque l’on tente de redonner vie au passé, le musicien rappelle qu’on doit cependant garder une certaine lucidité : « Il reste peu de choses aujourd’hui de la musique traditionnelle, elle n’est plus connectée à un mode de vie. On projette beaucoup de choses sur ce répertoire et on ne pourra jamais savoir exactement comment il était interprété en son temps. » Pour accompagner ce travail de redécouverte, le musicien est à la tête d’un ensemble avec lequel il a monté de passionnants programmes. Une aventure vers laquelle les méandres de la vie l’ont naturellement poussé : « Au départ, je ne m’étais pas fixé comme objectif principal de développer un ensemble et d’enregistrer des disques. C’est une occasion bien spécifique qui a conduit à la création des Musiciens de Saint-Julien. J’avais gagné un concours de cornemuse au Festival de Saint-Chartier, dont le prix consistait en une semaine d’enregistrement en studio, et je devais réunir des artistes pour mener à bien ce projet qui m’était en quelque sorte tombé dessus. C’est ainsi que l’ensemble est né en 2005 et qu’une belle histoire a commencé. À l’occasion de ce premier enregistrement, on a commencé à travailler avec le label Alpha classics, et l’idée d’une série de disques est apparue. » L’ensemble s’est ensuite structuré au fil du temps : « Les choses se sont accélérées autour de 2010. On a bénéficié d’une résidence à l'Académie Bach à Arques-la-Bataille et d’une autre au Festival Baroque de Pontoise, ce qui a vraiment lancé une nouvelle dynamique. » Les projets de l’ensemble permettent à François Lazarevitch de diversifier constamment ses activités : « J’essaie d’alterner le répertoire purement baroque et mon travail sur les musiques plus traditionnelles. De cette manière je ne tourne jamais en rond, et j’aime me lancer des défis, en travaillant par exemple de grands concertos de temps en temps. J’aime mélanger différentes approches, elles se nourrissent les unes des autres. »
D’un univers à l’autre
Les programmes en cours et à venir témoignent bien de la pluralité d’approches qu’entretient l’ensemble. En résidence au Volcan, la scène nationale du Havre, les Musiciens de Saint-Julien ont notamment monté un spectacle qui leur tient à cœur : « Nous sommes en résidence là-bas depuis 2020. Au départ nous développions des projets d’orchestre. On a par exemple donné l’intégrale des Concertos Brandebourgeois, des Odes de Purcell avec chœur où nous étions trente-cinq… Le Covid a un peu contrarié cette lancée. Aujourd’hui, les orientations sont différentes. On travaille sur des projets en plus petits effectifs, mais avec de la mise en scène, ce qui est un peu nouveau pour nous. En 2024 nous avons créé un spectacle intitulé « La Quête de Merlin » sur un livret de Vanessa Bertran et des compositions et des arrangements de Benoit Menut, le tout mis en scène Daniel san Pedro. Nous sommes cinq, avec un comédien chanteur et des instrumentistes. Le travail est vraiment axé sur le théâtre et sur l’esthétique visuelle, notamment la lumière. Monter un véritable spectacle avec toute l’équipe du théâtre du Volcan est très exaltant. » Dans une tout autre direction, François Lazarevitch travaille sur un programme Marin Marais qui sera donné en concert à la Salle Cortot en avril. Comme à son habitude, il a étudié en profondeur les sources pour enrichir son interprétation : « Je travaille depuis plus d’un an sur ce projet Marin Marais. Cette musique devrait susciter de la curiosité car les partitions que nous avons choisies n’ont jamais été entendues depuis le XVIIIe siècle. Nous avons mis la main sur un manuscrit pour flûte et basse continue qui a été récemment redécouvert. Ce sont des suites de danses simples mais pleines de charme. L’approche qu’on en a peut faire toute la différence, et je pense qu’elles apportent un nouvel éclairage sur ce que l’on connait du répertoire pour flûte. J’ai beaucoup travaillé sur les ornements et les indications de jeux d’un autre manuscrit, celui de Villeneuve, j’ai élaboré de multiples variations et toutes les reprises sont ornées. Le disque, qui est donc le premier enregistrement mondial de ces pièces, sort au mois de mars chez Alpha. »
Bon anniversaire !
En attendant de découvrir ce nouveau programme, on peut célébrer l’anniversaire de l’ensemble à la Salle Gaveau. Deux concerts dans la même journée présentent les différentes facettes du travail des Musiciens de Saint-Julien, avec un aperçu de leurs répertoires les plus emblématiques : « On a réuni pour l’occasion les différents chanteurs qui ont participé à nos programmes : Robert Getchell, Fiona McGown, Enea Sorini, Hélène Richaud et Élodie Fonnard. Le concert de l’après-midi propose des grandes pages baroques, comme un extrait des Quatre Saisons de Vivaldi, ou le Concerto Brandebourgeois n° 5 de Bach. On a aussi apporté une touche plus personnelle et un peu de fantaisie avec des pièces tirées de notre programme « Beauté barbare », un concerto de Telemann notamment, avec percussions, cymbalum... Quant au programme du soir, il mêle avant tout des musiques irlandaises et écossaises. Le danseur Nic Gareiss qui s’était déjà joint à nous pour notre premier concert Salle Gaveau autour du programme du disque « The High Road to Kilkenny » sera présent. C’est un véritable génie des claquettes. » Les passionnantes explorations musicales de François Lazarevitch se poursuivront les prochaines saisons vers de nouveaux horizons aussi bien géographiques que culturels : « Je travaille sur un programme qui va s’appeler « Aux rives du beau Danube bleu », et qui est relié à « Beauté Barbare ». Ce sera un voyage dans l’Autriche-Hongrie du XIXe siècle. Sur un plan personnel, ce projet va me permettre de commencer à jouer du csakan, qui est un modèle de flûte à bec muni de clés, inventé en Hongrie à cette époque. Ce répertoire, plutôt léger, me touche particulièrement à cause de mes origines paternelles. Un autre futur programme, autour des ballades anglaises, va nous amener à collaborer avec la chanteuse Rosemary Standley. »
Elise Guignard - publié le 01/03/25