Carlo Vistoli la passion de l'opéra
Ces dernières années ont vu l’accélération triomphale de la carrière du contre-ténor, notamment dans le milieu baroque. Souvent présent sur les productions les plus attendues de ce répertoire, il continue sa saison en beauté avec deux concerts au Théâtre des Champs-Élysées.
Depuis son passage au Jardin des Voix en 2015, Carlo Vistoli a fait bien du chemin. Avec des moyens techniques qui semblent illimités et un charisme naturel, il illumine toutes les scènes qu’il foule. Le choix de la tessiture de contre-ténor fut une évidence pour lui : « La musique m’a accompagné toute ma vie, même si je ne suis pas né dans une famille de musiciens J’ai étudié la guitare classique et le piano, et peu à peu j’ai découvert l’opéra, notamment baroque. J’ai pris quelques cours de chant dans ma ville natale, comme ténor dans un premier temps mais très brièvement. La vocalité de contre-ténor m’intéressait davantage. J’écoutais des chanteurs comme Philippe Jaroussky, Andreas Scholl ou Bejun Mehta et j’essayais de les imiter. Les airs me plaisaient, surtout ceux avec des coloratures qui me faisaient l’effet de feux d’artifice. J’ai donc exploré cet aspect de ma voix, qui s’est avéré tout de suite plus naturel pour moi que la tessiture de ténor. » Ces dernières saisons, Carlo Vistoli a pu déjà se confronter à certains rôles emblématiques : « J’ai chanté pour la première fois Orfeo de Gluck à l’Opéra de Rome en 2019, je l’ai fait au Komische Oper Berlin l’année dernière et je vais l’aborder de nouveau l’année prochaine. Curieusement, c’est un opéra que je n’aimais pas particulièrement avant d’interpréter le rôle. Quand j’écoutais la musique, elle ne me séduisait pas tant, mais lorsque j’ai commencé à la chanter, ce fut une révélation. Orfeo est l’un de mes rôles favoris maintenant, je l’adore pour son intensité. D’autres rôles m’ont aussi beaucoup marqué ces dernières années, comme Ottone dans le Couronnement de Poppée de Monteverdi, ainsi que Nerone (j'ai fait mes débuts récemment dans ce rôle au Staatsoper Berlin). »
Une prise de rôle exaltante
Au Théâtre des Champs-Élysées ce mois-ci, c’est un rôle initialement dédié à une voix d’alto féminine qu’endossera Carlo Vistoli : « J’avais déjà chanté Ruggiero dans Orlando Furioso de Vivaldi, mais je fais cette fois mes débuts dans le rôle-titre. Il est mythique même s’il n’est pas écrit pour un castrat. Avant même la redécouverte du répertoire baroque, il était déjà célèbre, notamment grâce à Marylin Horne qui l’avait interprété. Faire partie de cette production avec Jean-Christophe Spinosi et Marie-Nicole Lemieux qui a justement enregistré le rôle d’Orlando (et chante cette fois Alcina) est une très grande joie. Mes airs sont spectaculaires, mais j’aime avant tout les récitatifs. Dans l’acte III on voit se développer dans leur écriture toute la folie du personnage. Même si l’on donne une version de concert, j’espère que je pourrai transmettre leur théâtralité parce que je m’amuse beaucoup en les travaillant. C’est toujours le défi lorsqu’il n’y a pas de mise en scène, il faut faire oublier son absence au public et réussir à raconter une histoire. » Toujours au Théâtre des Champs-Élysées, on pourra également entendre le contre-ténor en récital avec la soprano Julia Lezhneva, qu’accompagneront les Accents de Thibault Noally : « Julia est une magnifique chanteuse avec qui j’ai déjà chanté plusieurs fois. Pour notre récital en mai, nous allons interpréter des pages très célèbres et d’autres bien plus rares. C’est un voyage entre la musique de Händel et le style napolitain, pour mettre en valeur le lien important qu’il existe entre les deux. Je suis très heureux de travailler aussi avec Les Accents avec qui j’ai déjà collaboré plusieurs fois. Thibault sait très bien travailler avec les chanteurs, il est très à l’écoute. » Production après production, il semble que Carlo Vistoli soit un peu chez lui au Théâtre des Champs-Élysées : « Je crois que cette salle fait partie de celles que je préfère au monde. J’aime son architecture, son époque, sa taille, son acoustique. Elle est grande sans être immense, et donc très adaptée au répertoire baroque. C’est un bonheur pour moi d’y revenir souvent et sa programmation me plait beaucoup. »
Jouer avec les vocalités
On ne s’étonnera donc pas si à l’automne prochain, c’est dans cette même maison qu’on retrouvera notre chanteur pour une date importante : « Je chanterai le rôle-titre de Giulio Cesare de Händel aux côtés de Cecilia Bartoli. Je l’avais déjà fait en concert, avec La Cetra et Andrea Marcon en 2021, mais je connais surtout cet opéra pour avoir incarné l’année dernière Tolomeo sous la direction de Philippe Jaroussky. Comme nous allons reprendre cette même production à l’Opéra de Rome en octobre, je vais chanter à la même période le protagoniste et le « méchant », ce qui m’amuse beaucoup. Il est très intéressant d’observer les différentes vocalités entre eux, que je voudrais réussir à mettre en valeur. Les tessitures sont les mêmes, mais les écritures sont dissemblables. Tolomeo est caractérisé par de grands sauts dans la tessiture qui soulignent son hystérie, alors que Giulio Cesare demande beaucoup plus de legato, avec des lignes plus élégiaques. C’est un guerrier mais il est dépeint comme un amoureux, avec de la douceur et de la mélancolie. J’adore la musique de Händel, et pour moi Giulio Cesare fait partie de ses plus beaux opéras avec Ariodante etAlcina. » Une passion pour Händel qui sera également assouvie en février prochain car le chanteur interprètera le rôle incontournable de Rinaldo. Elle nourrit aussi de belles envies pour le futur : « J’aimerais chanter d’autres rôles de ce compositeur, comme Orlando, ou Didymus dans Theodora que je trouve magnifique. Par ailleurs je vais chanter en novembre Farnace dans Mitridate de Mozart, et j’aimerais faire plus de Mozart par la suite. J’aimerais aborder également Rossini, par exemple le rôle de Tancredi qui fonctionne très bien pour ma tessiture même s’il est écrit pour une femme. » Bien que déjà fulgurante, l’aventure ne fait donc que commencer pour Carlo Vistoli.
Élise Guignard