Laurent Naouri Chant intime
Certes, Laurent Naouri promène son timbre prenant et son intensité théâtrale sur les grandes scènes lyriques. Mais pour qui connaît son amour immodéré des textes et sa capacité à les projeter jusque dans les lignes les plus belcantistes, ses talents de mélodiste ne constituent nullement une surprise. Rencontre.
L’originalité des soirées proposées à la Salle Cortot sous l’égide du Centre de Musique de chambre de Paris nous vient de son complice car le baryton français sera accompagné non pas de cordes frappées mais de cordes pincées, en la personne du guitariste Frédéric Loiseau : « Je suis familier de la guitare en tant qu’auditeur, comme tout le monde, mais surtout dans le domaine du jazz, avec dans mes références un musicien comme Wes Montgomery. Ce qui a joué, c’est surtout la passion de Frédéric Loiseau pour Gabriel Fauré. Nous nous sommes rencontrés grâce à Guillaume de Chassy, un pianiste avec qui je collabore souvent : le ver était dans le fruit à partir du moment où Frédéric m’a dit qu’il aimait beaucoup Fauré. Nous avons essayé un soir de faire quelque chose ensemble, tout à fait au débotté, avec Les Berceaux. C’était en 2014 ou 2015, je ne sais plus ».
Le disque publié sous étiquette Alpha Classics et la série de concert de novembre s’avèrent donc le résultat d’une lente maturation. On pourrait craindre que la grande voix de Laurent Naouri ne prenne trop le dessus sur son partenaire. Ce serait à tort : « En réalité, avec la façon dont je chante dans le disque, ma voix ne passerait pas la guitare si je n’étais pas amplifié. Je fais ici tout un travail sur le murmure. Le murmure en voix projetée n’existe pas, il s’agit simplement du chant piano. On ne pourrait jamais murmurer à l’oreille d’une femme qu’on aime en voix projetée, cela lui casserait les oreilles ». Il ne faut toutefois pas croire que ce projet ait demandé de la part de Laurent Naouri une technique vocale spécifique : « Parfois on pense aux mélodies de Fauré comme à de la chanson. Pour ma part, je ne me pose pas cette question. J’ai très souvent chanté ce répertoire en récital et je ne me demande jamais si je dois chanter fort ou pas fort, je chante simplement comme je dois chanter, avec l’instrument que j’ai dans la salle où je suis ».
Le travail de Frédéric Loiseau revêt pour sa part une sophistication certaine, à mille lieues d’une simple transposition : « Nous aurions pu choisir, pour Prison par exemple, de simplement transcrire les accords mais cela était impossible pour d’autres mélodies, comme Le Jet d’eauet son texte pianistique quasi-wagnérien. Nous sommes partis du poème, de la ligne mélodique et de la trame harmonique pour construire notre vision de la partition. En d’autres termes, nous avons « re-scénarisé » très massivement la plupart des mélodies que nous avons choisies. Évidemment, certaines mélodies ne se prêtent pas à ce traitement, je n’ai pas du tout envie d’aborder de cette façon une partition comme La Vague et la cloche ».
Il faut aller écouter cette proposition passionnante venant d’un artiste que le monde entier considère comme l’un des champions de la musique française. Parallèlement, toujours à la Salle Cortot, on pourra l’entendre dans Les Chants d’un compagnon errant de Mahler et dans La Mort du Poète, une création de Jérôme Ducros : Laurent Naouri y « ouvrira les vannes », laissant s’épanouir sa voix dans toute sa plénitude.
Yutha Tep