Ludovic Tézier s'empare de Scarpia
Le baryton vedette de l’hexagone s’est fait spécialiste du répertoire français mais également du répertoire italien. En juin, il endosse de nouveau le costume de Scarpia dans la production de Tosca de l’opéra de paris. Un rôle phare qu’il défend avec passion et jubilation.
C’est en 2014 que Ludovic Tézier chanta pour la première fois Scarpia à l’Opéra de Paris. Le rôle lui était pourtant déjà très familier : « J’ai commencé à chanter ce rôle relativement tard, car il s’agit d’un rôle de maturité. Il faisait partie de ceux que je rêvais de chanter quand j’étais adolescent, car le personnage est fascinant. Enfant, j’allais très régulièrement voir Tosca et j’ai eu la chance de voir d’excellents Scarpia. » La production actuelle de l’Opéra de Paris reprend la mise en scène de Pierre Audi, dans laquelle le baryton avait fait sa prise de rôle : « Le livret est absolument extraordinaire d’un point de vue théâtral. J’ai construit le personnage de Scarpia directement avec Pierre Audi, car c’est un metteur en scène très à l’écoute des artistes et il ne veut pas imposer une vision unique aux autres. On a pensé le personnage dans la finesse, en l’adaptant à mon caractère. Notre Scarpia bouillonne à l’intérieur mais il est extérieurement très froid. »
Un rôle de « méchant »
On devine que Ludovic Tézier pourrait parler du personnage pendant des heures tant sa psychologie le captive : « Le personnage me passionne par son côté outrancier, mais j’estime qu’il doit garder une certaine classe. Scarpia est un homme ambigu qui a des perversions abominables. Il fonctionne comme un tennisman qui renvoie les balles en fonction de la force de l’adversaire. Il a un côté félin et s’amuse de ce jeu avec sa proie. Sa victime est terrifiée car elle n’a aucune prise sur lui. Elle est perdue dès qu’elle tombe dans ses griffes, et le temps qu’elle gagne n’est que le temps que lui accorde Scarpia pour son jeu macabre. Il mène la situation et en retire une immense jouissance, car cela nourrit son narcissisme. Je pense qu’à partir du moment où l’on entre dans le bureau du Scarpia, on ne peut plus en ressortir vivant. » Un rôle très fort donc, que le baryton prend énormément de plaisir à interpréter : « Scarpia est similaire à ces grands « méchants » du cinéma, comme celui que joue Anthony Hopkins dans Le Silence des agneaux. Ils ont une animalité incroyable en commun. Si je pouvais me rapprocher de cette interprétation, je serais plus que comblé. Je me félicite d’être baryton pour pouvoir chanter ces rôles de « sales types » où il y a une richesse à creuser. Ils sont jubilatoires pour moi, car il s’agit vraiment de jouer. On ne peut pas incarner des personnages pareils parce qu’on ne peut pas ressentir ce qu’ils ressentent, on ne peut pas se mettre dans leur peau avec sincérité. Pour cette raison, apprendre ce type de rôle fonctionne de la même manière qu’avec un rôle comique. Il y a une technicité de l’effet à acquérir, qui prime sur le ressenti à chercher en soi. »
Parvenir à une telle liberté d’interprétation demande déjà une parfaite maitrise de la partition, ce qui n’est pas une mince affaire : « Les difficultés vocales sont partout. Pour chanter correctement ce rôle, il faut avoir une maitrise absolue de son instrument pour aller puiser dans des couleurs, trouver des aigus puissants et des basses inquiétantes. Pour interpréter le personnage à la mesure qu’il requiert, la difficulté est aussi de réussir à se détacher assez de la technique pour être parfaitement libre. C’est nécessaire pour se désinhiber scéniquement. » Et le jeu scénique que demande le rôle est particulièrement riche, aussi bien pour l’interprète que pour ses partenaires : « J’aime proposer un jeu sans cesse renouvelé qui va dynamiser la scène en surprenant la chanteuse qui interprète Tosca. Elle doit être terrifiée par la dimension imprévisible de Scarpia, car c’est le grain de folie qui rend le personnage très inquiétant. En proposant de nouvelles choses à chaque fois, j’essaie de déclencher ainsi de nouvelles réactions chez la soprano en face. Ce duo se construit vraiment à deux, c’est l’une des plus fantastiques cours de récréation qui existent ! » Scarpia fait donc partie de ces rôles qui marquent une carrière et un interprète, artistiquement mais aussi humainement : « Certains rôles dans la carrière façonnent l’homme, et nous font même avancer dans la vie. On dit souvent qu’il y a un côté psychanalytique au fait de chanter. On peut comprendre de nouvelles choses sur nous ou les autres. Don Giovanni a par exemple changé mon rapport aux autres, il m’a obligé à trouver de nouvelles choses en moi, à me dépasser car il dépasse tous les hommes. »
Wagner à l’horizon
Riche de son expérience et de son travail vocal toujours plus poussé, Ludovic Tézier défend des répertoires de plus en plus variés. On a pu découvrir en février son premier disque solo consacré à Verdi pour le label Sony classical. La générosité et l’élégance de la voix en font déjà un incontournable pour les amoureux du répertoire italien. Le baryton nous dévoile ses envies pour les années à venir : « Ma voix a gardé le lyrisme qu’elle avait au début, avec une facilité dans le phrasé. Mais ce qui a évolué, ce sont d’abord les décibels pour parler simplement ! Ma palette de couleurs s’est également enrichie. Cela me permet d’être plus inventif dans certains rôles que j’ai déjà chantés, mais aussi d’aborder des rôles réputés pour être plus dangereux vocalement. J’aimerais beaucoup travailler le répertoire allemand. Je voudrais me diriger vers Wagner, mais je le ferai à mon rythme, sans presser ma voix. La profondeur psychologique des personnages est formidable, cela demande une épaisseur de jeu de la part du chanteur qui m’attire beaucoup. Sans cela, on tombe dans des interprétations galvaudées. » Pour l’heure, le chanteur profite de l’amélioration récente de la situation sanitaire mais ne veut pas crier victoire trop vite : « J’espère très sincèrement que tout ira bien, mais cette crise est très imprévisible. Pour le moment il est clair en tout cas qu’une fenêtre s’ouvre. J’encourage vraiment le public à réinvestir les salles de concert, car elles leur appartiennent encore plus qu’aux artistes, à mon sens. Et j’encourage les artistes à donner le meilleur d’eux-mêmes. Il est essentiel de s’élever, de retrouver le contact avec le beau. » Un espoir partagé !
Élise Guignard