Marina Viotti en toute liberté
Sans jamais perdre de vue la liberté artistique qui lui est vitale, la mezzo-soprano multiplie les apparitions sur les plus grandes scènes d’opéra. Ce mois-ci, c’est au Théâtre des Champs-Élysées qu’on pourra l’écouter, d’abord dans un récital puis dans l’Olimpiade de Vivaldi.
Forte d’un parcours atypique qui l’a conduite du heavy metal au lyrique, Marina Viotti a vu sa carrière décoller ses dernières années : « Il y a eu des étapes importantes sur mon chemin. Juste après la période du Covid, j’ai pu chanter La Voix Humaine de Poulenc à Lisbonne avec mon frère Lorenzo Viotti. L’œuvre est un long monologue qu’il faut savoir porter seul sur scène, et ce fut une expérience intense qui m’a vraiment marquée. J’ai ensuite donné La Périchole d’Offenbach au Théâtre des Champs-Élysées, ce qui a représenté mes débuts officiels sur une grande scène parisienne. Je pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai obtenu peu de temps après une Victoire de la Musique. Parmi les projets forts de ces dernières années je dois aussi parler de mon premier enregistrement. J’ai choisi de le consacrer à Pauline Viardot, car je ne voulais pas me présenter en tant que chanteuse avec une sélection de « tubes » d’opéra comme on fait parfois. »
De toute évidence, la mezzo franco-suisse aime tracer sa propre route : « Il est très important pour moi de développer des projets personnels où je me sens totalement libre de mes choix. J’ai élaboré par exemple un programme de récital avec guitare où je chante beaucoup de musique populaire. Vocalement, j’aime explorer des choses très différentes, et je craignais qu’on me mettre des bâtons dans les roues à ce niveau-là mais finalement tout se passe bien. J’aime décider aussi de la forme de ce que je fais, de la mise en scène. Ce processus m’enrichit beaucoup. »
Sortir des cases
En termes de répertoire, il est de fait impossible de ranger Marina Viotti dans une catégorie, et ce n’est d’ailleurs pas souhaitable : « Je pense être quelqu’un de très versatile. Je me sens à l’aise dans beaucoup de répertoires très différents, que ce soit le bel canto, tous les rôles de mezzo léger chez Mozart, Offenbach ou Rossini, ou même le baroque. Ma philosophie est de choisir mes rôles en fonction de mon confort vocal, je veux pouvoir tout chanter le mieux possible, sans stress. Depuis quelque temps j’évolue vers du répertoire un peu plus lyrique, et je viens par exemple de faire ma première Carmen, mais je ne veux pas me mettre de pression. Je voudrais pouvoir chanter le plus longtemps possible. » Pour son récital au Théâtre des Champs-Élysées, le programme est centré sur Händel : « En réalité, je ne chante pas Händel depuis si longtemps, et une grande partie des airs prévus pour ce récital sont complètement nouveaux pour moi, mais je m’y sens très bien. C’est une musique très rock, mais qui contient également des pages planantes, dans une sorte de beauté épurée. Vocalement, on peut explorer plein de couleurs. La tessiture est longue, les coloratures sont nombreuses, la vocalité est parfois très lyrique mais il faut aussi savoir utiliser une voix blanche pour créer certains effets… J’essaie de mettre en lumière cette musique à la manière d’une peintre. Avec le principe des airs da capo, on peut également improviser beaucoup de choses dans les reprises, dans un esprit très jazz aussi finalement. Même si ces reprises sont souvent écrites à l’avance, il m’arrive régulièrement de proposer spontanément quelque chose de nouveau pendant le concert. J’aime aussi que les personnages de mezzo soient souvent forts chez Händel. Prenons l’exemple de Bradamante dans Alcina : c’est une femme qui se déguise en homme pour aller sauver son amoureux, ce n’est pas vraiment courant à l’opéra ! »
La collaboration avec Marc Minkowski et les musiciens du Louvre devrait fonctionner à merveille tant l’état d’esprit de Marina Viotti semble coller à celui du chef : « J’ai déjà eu l’occasion de travailler avec lui car j’avais un jour remplacé au pied levé Marianne Crebassa, qui était souffrante, pour une date de concert. J’adore sa manière de diriger, il communique tellement de joie et de swing aux autres artistes. »
À la même période que son récital, la mezzo incarnera également Megacle dans l’Olimpiade de Vivaldi, sous la direction de Jean-Christophe Spinosi et dans une mise en scène d’Emmanuel Daumas qu'on a hâte de découvrir au Théâtre des Champs-Élysées : « Jusqu’à présent, j’ai très peu chanté Vivaldi, et ce sera la première fois que j’interprèterai un de ses opéras intégralement. Juditha Triumphans est l’une de mes œuvres préférées. L’Olimpiade est aussi une partition très intéressante, avec des récitatifs très complexes qui présentent de multiples modulations. Tous les airs sont sublimes, aussi bien ceux qui ont des tempi lents que ceux à vocalises. La mise en scène promet d’être extraordinaire, l’intrigue va prendre place dans une salle de sport à l’ancienne. Je suis actuellement en préparation physique pour le rôle car j’incarne un athlète qui remporte les jeux olympiques, et scéniquement cela va être un peu sportif. Je trouve d’ailleurs assez amusant de passer de Carmen, un archétype de la femme, à Megacle, un jeune homme bodybuildé. Ces grands écarts sont aussi ce que j’aime dans mon métier. »
Élise Guignard