Portraits d'artistes - Voix

Véronique Gens L'art du chant

Véronique Gens
Depuis ses débuts avec William Christie et Les Arts Florissants dans les années 1990, Véronique Gens aborde un vaste répertoire allant de Lully à Poulenc.
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Véronique Gens s’est affirmée comme l’une des interprètes incontournables de Mozart, dont elle a chanté des rôles emblématiques sur les plus grandes scènes. Salle Cortot, elle transmettra son savoir à de jeunes artistes lors d’une master class qui s’annonce passionnante.

Quand avez-vous commencé à enseigner le chant et pourquoi ?

Quand on est chanteur on passe sa vie à chercher et à se remettre en question. Par rapport à un instrumentiste dont la technique, une fois maîtrisée, ne bouge pas pendant des années, un chanteur (et surtout une femme) voit son corps et sa voix évoluer. Certaines choses ne sont jamais résolues ou se résolvent avec le temps… Pour cette raison je crois qu’on n’est jamais vraiment prêt à enseigner, mais j’avais envie de communiquer mon vécu à des jeunes artistes. Je transmets des expériences de travail, je donne des conseils, je les rassure. Ces jeunes chanteurs, qui me sollicitent beaucoup, ont tous un niveau extrêmement solide par rapport à ceux qui commençaient il y a quelques années à l’époque de mes débuts. Ils sont un cran au-dessus, et archi-prêts quand ils arrivent pour me demander un avis. Je suis pleine d’admiration pour eux, je leur tire mon chapeau ! Honnêtement si je devais démarrer ma carrière maintenant je ne sais pas du tout ce que cela donnerait.

« il y a plein de choses qu’on n’apprend pas dans les écoles mais seulement sur scène »

Je veux partager aux jeunes artistes ce que j’ai appris « sur le tas » parce qu’il y a plein de choses qu’on n’apprend pas dans les écoles mais seulement sur scène. On a besoin du contact avec le public, de l’ambiance de cette fosse aux lions, pour ressentir la réalité du métier et apprendre à gérer ses émotions, son stress…

 

Quelle est la plus grande difficulté selon vous lorsqu’on enseigne le chant ?

La voix est étroitement liée à la personnalité de chacun, elle est au centre de nos émotions. Quand on a envie de pleurer elle chevrote, quand on est heureux elle va bien… Lorsqu’on travaille avec des élèves qu’on ne connait pas très bien, il est difficile de savoir dans quel état ils sont, s’ils sont en grande difficulté morale ou non. Si l’on sent dans la voix qu’il y a quelque chose de fragile, il est difficile de savoir ce qu’on peut améliorer ou pas. Cela demande de rentrer en contact avec une part de leur intimité, mais quelque fois c’est la seule façon de les aider vraiment. En dehors de l’aspect technique rigoureux il y a donc toujours cette émotion qu’il faut aller chercher et essayer de comprendre, ce qui rend le travail passionnant. J’aime beaucoup rencontrer les jeunes chanteurs parce que je découvre des personnalités incroyables. Quand ils cherchent et explorent leur intériorité, leur cœur on pourrait dire, on découvre certaines choses qu’on ne percevait peut-être pas au premier abord. Chanter c’est quand même donner son âme et ses tripes, et on l’entend dans la voix, on le voit sur le visage. Il faut accepter de montrer qui on est, ce qui est difficile pour certains. Le chant est à la fois très intime et très public, paradoxalement.

 

Quels conseils donnez-vous aux jeunes chanteurs qui commencent leurs carrières ?

Quand on débute et qu’on a un peu de succès, on vous propose plein de choses. Il est difficile de faire un tri et de comprendre ce qu'on peut accepter ou pas. Je pense qu’il faut savoir sortir de se zone de confort pour progresser. Si on accepte uniquement des choses sans danger qu'on maitrise déjà parfaitement, on finit par tourner en rond. Mais quand vous prenez un risque, il faut savoir évaluer si le challenge est dans vos cordes ou non (c'est le cas de le dire). Il ne faut pas faire l’erreur d’accepter quelque chose de trop difficile non plus qui serait dommageable vocalement. On peut en payer le prix pendant des années après, ne serait-ce qu'auprès du public parce qu’on n'a pas été à la hauteur, ou parce qu’on s’est fait mal. Il faut être bien entouré.

« la master class ne doit pas devenir une performance de cirque »

 

Enseignez-vous de la même manière en master class et en cours privés ?

Ce sont des choses très différentes. En master class il n’y a pas d’intimité, ce qui est un stress supplémentaire pour les élèves. Se mettre à nu devant un public et face à un professeur avec qui on travaille souvent pour la première fois est un exercice extrêmement difficile. Il faut accepter de jouer le jeu, d’essayer de nouvelles choses, de chercher, malgré la présence de spectateurs. Comme pour n’importe quel cours de chant, il faut qu'un rapport de confiance entre l'élève et le professeur s'installe, ce qui est difficile dans ce contexte. Mais je sais aussi que le public adore voir le travail de recherches autour de la voix. Il faut donc réussir à trouver un équilibre, comme un funambule sur un fil : la master class ne doit pas devenir une performance de cirque qui plait aux spectateurs mais qui n'apprend rien au chanteur, mais on ne doit pas non plus rentrer trop dans l'intimité de l’artiste parce que ce n’est pas le cadre approprié. C'est un exercice intéressant mais périlleux. D’autre part je ne veux pas aborder les master class comme on le faisait parfois avant, avec un professeur assis au fond de la scène qui ne se lève pas de sa chaise et donne de loin ses consignes et ses critiques. J'ai besoin de m'approcher du chanteur, de lui montrer, de dialoguer. Chaque enseignant fait à sa façon mais je pense que certaines traditions sont un peu dépassées aujourd’hui. Beaucoup de choses ont changé dans le milieu musical ces dernières années. Et c'est tant mieux.

 

Comment articulez-vous technique vocale et style lors d’une master class ?

En général les chanteurs qu'on sélectionne à l’avance pour les master class ont tous un solide niveau. Bien sûr quand ils commencent à chanter devant moi et devant le public, ils sont souvent terrorisés et il faut façonner un peu ce qu'ils proposent, pour les amener dans le style. C'est très galvanisant, on veut toujours aller plus loin. Mais quand je sens qu'il y a des points techniques qui bloquent, j'en parle, et en général tout vient de la respiration. Chanter c'est respirer. Il suffit parfois de remettre un peu les choses au clair. Il ne s'agit pas de refaire leur technique ou de les perturber, mais je donne quelques petites pistes de travail, sans rentrer dans les détails.

 

La prochaine master class à la Salle Cortot aura pour thème Mozart. Comment faites-vous travailler cette musique ?

Comme pour les mélodies françaises ou la musique baroque, on ne chante plus Mozart comme on le chantait avant. Je fais partie de la génération qui a changé la perception de ce répertoire. Aujourd’hui on a envie d’entendre des interprétations avec plus de finesse, de légèreté. On évite les ports de voix, les vibratos énormes... Mozart est le répertoire le plus difficile à chanter, il demande une exigence technique incroyable : les attaques doivent être propres, les vocalises impeccables, le legato contenu... C’est un bon curseur pour savoir où on en est. Tous les chanteurs reviennent à Mozart quand ils sentent qu'ils sont en train de se perdre.

 

Propos recueillis par Élise Guignard

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