Dossiers Musicologiques - Classique

Haydn La Création

Haydn
Compositeur prolifique de tant de symphonies et de quatuors, Joseph Haydn s'est aussi brillamment illustré dans la musique vocale.
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En composant son grand oratorio la création à la toute fin du XVIIIe siècle, Joseph Haydn s'est inscrit dans la lignée de son illustre aîné Händel et a ouvert des voies nouvelles que suivraient les grands compositeurs romantiques.

De 1791 à 1795, Joseph Haydn fit deux séjours à Londres. Pour le compositeur, déjà célèbre, qui n'avait jamais quitté la région de Vienne, ces voyages eurent une importance considérable. Ils contribuèrent à accroître sa notoriété : Haydn y dirigea ses propres œuvres et composa douze nouvelles symphonies, dénommées aujourd'hui Symphonies londoniennes. À cette époque, la culture musicale londonienne était particulièrement ouverte à la nouveauté, mais elle était tout aussi attentive au patrimoine musical légué par l'histoire. Pendant ses séjours, Haydn entendit plusieurs grandes œuvres de Händel, dont Le Messie et Israël en Égypte, et put mesurer l'impact que ces oratorios, souvent exécutés avec des effectifs très nombreux, pouvaient exercer sur le public. Dès lors, l'idée de se mesurer à son aîné ne devait plus le quitter. 

Il repartit de Londres avec un livret en anglais, qui aurait été destiné à Händel un demi-siècle plus tôt. Ce livret est inspiré à la fois de la Bible (Genèse et Psaumes) et du Paradis perdu, poème épique du poète anglais John Milton (1667). Haydn le confia au baron Gottfried van Swieten (1733-1803), un des membres éclairés de la noblesse viennoise, qui l'adapta 
en allemand.

La Création fut ainsi l'une des premières grandes œuvres de l'histoire de la musique écrite en pensant à la postérité. « J'y mets le temps parce que je veux qu'il dure », aurait dit Haydn, qui y travailla pendant deux ans, en collaboration étroite avec Van Swieten. 

La première audition eut lieu en privé à Vienne au Palais du prince Schwartzenberg le 30 avril 1798. La Première publique intervint près d'un an après, le 19 mars 1799 au Burgtheater, avec un succès triomphal. La partition fut publiée au début de 1800 avec, pour la première fois, le texte en deux langues, allemand et anglais. Dans les trois années suivantes, elle fut donnée dans tous les grands pays européens : Allemagne du Nord, Angleterre, France, Suède, Russie, avec partout autant de succès. Par la suite, la popularité de cette œuvre ne s'est jamais démentie.

L'oratorio est structuré en trois parties. Les deux premières relatent la création du monde à travers le récit de trois archanges : Uriel (ténor), Raphaël (basse) et Gabriel (soprano). La première correspond aux quatre premiers jours de la Création : création de la lumière, du ciel et de la terre, de la terre et de la mer, du soleil, de la lune et des étoiles. La deuxième partie correspond aux cinquième et sixième jours : création des animaux vivants et de l'homme. La dernière partie dépeint Adam (basse) et Ève (soprano) dans le jardin d'Eden avant la Chute.

Une œuvre ruisselante de fraîcheur

L'oratorio proprement dit est précédé d'une introduction extraordinaire, la Représentation du Chaos. Cette ouverture donne l'impression de prendre forme devant nous, permettant aux sonorités éparses de l'orchestre de s'agréger. Suit le récitatif de Raphaël (« Au commencement Dieu créa le ciel et la terre »). Pour le chœur psalmodique « Und Der Geist... », Van Swieten suggérait que l'obscurité disparaisse peu à peu, mais qu'il en reste assez pour qu'on ressente fortement le brusque passage à la lumière, « Es werde licht! Und es Ward Licht » ne devant être prononcé qu'une fois. Sur les mots « Et la lumière fut », chœur et orchestre explosent en un grandiose ut majeur rehaussé de cuivres et timbales retentissants.

Après quoi l'oratorio se déploie selon un schéma parfaitement régulier. Dans les deux premières parties, chaque jour de la création est organisé sous forme d’une séquence : narration empruntant à la Genèse (récitatif), commentaire poétique (air soliste ou ensemble) suivi d’une nouvelle section narrative qui conduit à un chœur de louanges. Les chœurs de conclusion des deux premières parties sont les plus grandioses et les plus développés de l’ouvrage.

La troisième partie nous transporte dans un autre monde, intime et pastoral, sphère dans laquelle évoluent Adam et Ève. Elle débute par une magnifique introduction orchestrale avec un remarquable trio de flutes, suivi d'un duo avec chœur qui chante les louanges du Seigneur. Le récitatif et le duo qui suivent expriment le bonheur terrestre des deux amants. L'œuvre s'achève par le grandiose chœur avec solistes « Toutes les voix chantent le Seigneur ».

Telle une symphonie remarquablement construite, la Création progresse sans une faille, sa tenue est constante, son champ expressif et spirituel est vaste. 

À plus de 65 ans, Haydn délivre une œuvre ruisselante de fraîcheur et d'optimisme. L'oratorio présente une immense palette de nuances et la peinture sonore y occupe une large place. Le compositeur exprime avec le même bonheur la voix mystérieuse du divin et le bonheur intime des humains. 

Lors d'une exécution triomphale de la Création en décembre 1808 à Vienne, les principaux compositeurs de la ville, parmi lesquels Beethoven, vinrent s’incliner devant le vieux Maître. On raconte qu’en signe de reconnaissance, Haydn levait les mains au ciel. Avec cet oratorio sublime, son art avait acquis une dimension quasi divine.

 

Pierre Verdier

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