Dusapin Macbeth Underworld
Élève de Xenakis, Pascal Dusapin fait partie des compositeurs contemporains les plus marquants de notre temps. Respecté de tous dans le milieu lyrique, il nous a livré en 2019 un nouvel opéra : Macbeth Underworld, qui connait sa création française au mois de novembre à l’Opéra Comique.
Avec Faustus, the Last Night, Penthesilea ou plus récemment Il Viaggio, Dante et Macbeth Underworld (pour n’en citer que quelques-uns), Pascal Dusapin semble vouer un amour éternel à l’opéra : « Je ne fais plus tellement de différence entre la musique vocale et la musique instrumentale, car pour moi tout est vocal dans la musique. Que j’écrive pour orchestre ou pour voix, l’intention est la même, c’est le même processus de travail. Je travaille presque en chantant, je vis vocalement ce que j’écris. J’aime aussi l’opéra parce que c’est un art « impur ». Lorsqu’on fait de la musique on se retrouve souvent très seul face à la beauté, on est confronté en permanence aux grandes œuvres du répertoire dans un monde merveilleux ultrasensible : mais l’opéra dépasse cette pureté en allant frayer avec d’autres agrégats intellectuels et d’autres préoccupations que la musique elle-même. Je trouve cela très intéressant. » Et quand on regarde la liste des opéras du compositeurs, il est certain que les racines littéraires sont profondes : « La littérature c’est le monde. Je lis beaucoup et je m’intéresse aux lettres depuis toujours. Quand on s’intéresse au lyrique c’est une source inépuisable d’inspiration. Beaucoup de mes opéras se penchent sur la mythologie, qui est le substrat de nos cultures. C’est mon moyen de rendre compte de mon rapport au monde. Quand j’aborde Medea, Penthesilea, Faustus ou Macbeth, je travaille une mémoire collective, une psyché, qui me permet d’exprimer une inquiétude, une vigilance face à notre époque. C’est la force des archétypes, ils parlent de thèmes qui parcourent le globe et toute l’histoire des civilisations jusqu’aux générations actuelles. J’évoque grâce à eux notre société contemporaine sans avoir à citer des personnes réelles et bien vivantes, car le cinéma se charge bien mieux de cette tâche. »
La métaphore du monde
Pour Macbeth, le choix du sujet a découlé d’un long processus de création : « C’était une idée que j’avais depuis longtemps car mes opéras sont toujours conçus sur de très longues périodes. Le travail lyrique chez moi ressemble à une table de mixage avec plusieurs curseurs : pendant que l’un avance, l’autre descend puis remonte, et à un moment donné l’idée est là. Pour l’opéra Dante qui a été présenté au Festival d’Aix l’année dernière, le thème avait commencé à m’attirer dès le début des années 1990 par exemple. Je tournais autour de Shakespeare depuis longtemps également, et Macbeth s’est imposé comme l’œuvre exacte qu’il fallait que je fasse. » Il faut dire qu’il s’agit d’une figure puissante dans ce qu’elle incarne : « C’est une fantastique métaphore contemporaine sur le pouvoir et comment l’obtenir à n’importe quel prix. Nous sommes entourés de Macbeth dans le monde, il n’y a pas besoin de le déguiser en Donald Trump ou Poutine pour en parler. L’opéra explore en même temps la question de la loi, qui jalonnait déjà d’autres de mes œuvres, comme Penthesilea par exemple. Alors que Penthesilea décide qu’elle ne peut plus vivre parce qu’elle n’a pas respecté la loi, Macbeth détruit au contraire toutes les lois pour arriver à ses fins. C’est exactement ce qu’il se passe sur cette planète en ce moment. On voit un recul des démocraties, et la loi que les hommes et les femmes ont mis des millénaires à mettre au point est détruite petit à petit, sciemment, quelques fois même par des instances politiques extrêmement sophistiquées. Il suffit d’ouvrir le journal tous les matins pour comprendre l’histoire de Macbeth. »
Dans un cauchemar
Pour reprendre l’œuvre de Shakespeare, le compositeur a pu compter sur une riche collaboration avec le librettiste Frédéric Boyer : « Frédéric Boyer est un ami de longue date. Il est écrivain, poète et c’est un immense érudit. Il a traduit Saint Augustin, La Bible, Shakespeare, Sénèque... Je lui ai exposé mes idées sur Macbeth et je lui ai demandé de l’aide pour retravailler différemment l’histoire. L’idée générale était de faire un Macbeth souterrain, d’où le titre. C’est un Macbeth qui commence presque quand tout est fini, comme un cauchemar où l’on revit d’atroces situations déjà vécues. À la fin de l’opéra, Macbeth est tué par le fantôme de l’enfant de Banquo, ce qui n’est pas du tout dans la pièce originale. Je voulais aussi éviter certains partis pris qu’on voit souvent et ne pas faire de Lady Macbeth une horrible femme manipulant son entourage. Je souhaitais au contraire m’interroger sur le couple Macbeth, dépeindre ces personnages amoureux et unis tout en étant prisonniers de leurs pulsions. »
Il serait impossible de décrire en quelques lignes une partition si complexe que Macbeth Underworld, mais le compositeur précise l’un de ses choix d’instrumentation : « Dans chacun de mes opéras j’essaie de caractériser une couleur culturelle. Pour Penthesilea où l’on est en Syrie ou en Lybie, j’avais utilisé le Cymbalum pour évoquer tous les instruments à cordes pincées des pays arabes. Dans Macbeth j’ai utilisé un archiluth, un instrument emblématique de l’époque élisabéthaine de Shakespeare, comme un clin d’œil. » La création française de Macbeth Underworld, initialement prévue en 2020 mais reportée pour cause de pandémie, s’annonce finalement sous les meilleurs auspices : « On reprend la mise en scène de Thomas Jolly qui était celle de la création à La Monnaie. Ce fut un véritable bonheur de travailler avec lui. C’est un metteur en scène qui ne réinterprète pas les œuvres et ne se contente pas de les recontextualiser dans un autre espace-temps comme on voit souvent aujourd’hui, il s’intéresse vraiment à l’objet. Il est d’une immense intelligence et c’est aussi quelqu’un de très amusant. Quand on a commencé à travailler ensemble sur le projet, la partition n’était pas achevée, ce qui rendait les choses assez abstraites. Mais je lui ai raconté l’œuvre, je la lui ai chantée, je lui ai expliqué la structure et il a pu développer son univers. Au fur et à mesure que la musique arrivait ensuite, il pouvait changer les choses en un claquement de doigts pour être au plus près de l’œuvre tant son inventivité est grande. Tout au long de mon parcours, j'ai vécu parfois de très belles expériences avec des metteurs en scène, d'autres furent plus étranges aussi, mais celle-ci fut un véritable enchantement. »
Du côté de l’équipe artistique choisie pour l’Opéra Comique, l’enthousiasme est le même pour Pascal Dusapin : « La distribution est entièrement nouvelle par rapport à la Monnaie de Bruxelles, et elle est magnifique. Katarina Bradić en Lady Macbeth est merveilleuse et Jarrett Ott qui incarne Macbeth est un chanteur incroyablement ductile, à qui on peut tout demander et qui garde toujours le sourire. Pour la direction tout se passe au mieux aussi, le chef Franck Ollu connait très bien ma musique car il a fait beaucoup de mes opéras, à tel point que je me demande parfois en répétition ce que je fais là ! Je suis vraiment très heureux de travailler avec toute cette équipe. » Des paroles qui font plaisir à entendre et qui incitent plus que jamais à aller découvrir ou redécouvrir l'œuvre.
Élise Guignard