Dossiers Musicologiques - Contemporain

Percussions de Strasbourg 60 ans de créations

Percussions de Strasbourg
L'ensemble vient d'enregister Persephassa et Pléiades de Xenakis.
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Depuis 1962, les Percussions de Strasbourg jouent un rôle de premier plan dans le monde de la création musicale. Rencontre avec Minh-Tâm Nguyen, leur actuel directeur artistique, à l'occasion des 60 ans de l'ensemble et des 100 ans de Xenakis.

Quel a été le parcours de l’ensemble jusqu’à aujourd’hui ?

Le groupe fête ses 60 ans cette année et nous sommes la 4e génération de musiciens. Ceux de la première génération étaient un peu les Beatles des Percussions de Strasbourg : ils ont assuré le succès de l’ensemble et l’ont fait vivre pendant 20 ans. Puis les équipes ont changé, avec souvent l’arrivée d’élèves de membres du groupe. J’ai participé à la 3e génération, à partir de janvier 2013. Au bout de deux ans le groupe a recruté un nouveau directeur artistique, Jean Geoffroy, et je suis devenu coordinateur artistique. Puis j’ai été nommé moi-même directeur artistique en 2018.

Aujourd’hui nous sommes une formation à géométrie variable qui va de 2 à 10 musiciens. Grâce à ce fonctionnement on peut varier l’effectif selon les projets. Notre répertoire est déjà immense avec plus de 400 œuvres originales écrites pour l’ensemble par des compositeurs tels que Hurel, Dufourt, Levinas, Cage, Aperghis, Grisey, Xenakis, Stockhausen... Jouer et diffuser les œuvres qu’ils ont composées pour nous est une mission qui me tient à cœur. À la naissance de l’ensemble, tout était à construire, il n’y avait pas de répertoire. Boulez était à l’initiative du projet et il a fallu créer ce qui n’existait pas, ce qui a fait naitre des envies de collaborations avec des compositeurs. La donne est différente aujourd’hui puisqu’on hérite de tout ce répertoire. On doit le relire, le défendre, aller vers des interprétations nouvelles aussi, tout en continuant parallèlement à créer des œuvres de jeunes compositeurs.

Comment le public reçoit-il votre travail ?

Toucher un public large dans la musique contemporaine est une grande mission. Aujourd’hui on fait aussi un gros travail de médiation, et je me sens plus médiateur que créateur. Je ne veux pas uniquement créer, je veux que les œuvres soient jouées, et rejouées différemment. À Strasbourg nous sommes ancrés dans un quartier qu’on pourrait qualifier de difficile, et j’y fais un gros travail pour faire connaitre cette musique. Elle n’est pas facile à aborder mais je pense que si on prépare tôt les jeunes à l’écouter, ils s’y intéresseront plus facilement plus tard. C’est une mission à long terme donc.

Comment s’est déroulée la collaboration avec Xenakis ?

Je pense qu’il y a une part d’intuition dans la rencontre parfois magique entre un ensemble et un compositeur. C’est cette rencontre parfois hasardeuse, non calculée, qui fait qu’une création va fonctionner ou non. La collaboration entre les Percussions de Strasbourg et Xenakis, qui fut très constructive, remonte à la création de Persephassa, en 1969. Elle a duré longtemps, et jusqu’à la nuit qui a précédé la création, tout le monde travaillait dur pour que le projet fonctionne. Les Percussions de Strasbourg nourrissent des collaborations étroites avec les compositeurs. Pour moi, la création c’est du temps passé ensemble, ce sont des affinités. Nous sommes un groupe de personnes avant tout. Je veux développer de vrais compagnonnages, car ces compositeurs nous font grandir et vice-versa. Ces relations privilégiées que l’on tisse avec eux ont par exemple permis à Jean Batigne, le fondateur du groupe, de dire à Xenakis dix ans après Persephassa :« Je pense que tu peux faire mieux ». Xenakis a ainsi composé Pléiades. La remarque de Jean Batigne peut paraitre très insolente mais je l'admire car l’entente et l’amitié qui étaient nées entre les deux hommes permettait ce genre d’échanges.

La pièce Persephassa demande une spatialisation. Quel effet cela crée-t-il ?

De la magie ! Xenakis n’a travaillé que sur des matériau bruts (ce sont des peaux, du bois brut, du métal brut), et la spatialisation joue sur le transfert de masses sonores dans l’espace.

On parle très souvent d’architecture et de mathématiques pour Xenakis, mais on parle trop peu d’énergie. Bien sûr architecturalement et mathématiquement, Persephassa est une œuvre très intelligente, mais pour moi la magie vient du déplacement de l’énergie.

La pièce Pléiades a vu naître un nouvel instrument, le sixxen. De quoi s’agit-il ?

Xenakis est parti en Indonésie et il est revenu avec le son du gamelan en tête. Il a voulu imaginer un instrument qui avait une sonorité métallique mais avec des propriétés de porcelaine. C’était en tout cas l’idée de base. Un jour dans l'atelier de Robert Hébrard, il a tapé sur une plaque d’aluminium corné et il a décidé qu’il voulait ce son-là. C’est le hasard finalement qui a amené au choix du matériau, il n’y avait pas du tout de porcelaine dedans bien sûr… Pour réaliser l’instrument, il a travaillé sur une échelle de 114 notes avec entre chacune d’entre elles un intervalle compris entre un tiers et un quart de ton, jamais juste, qu’il a ensuite dispatché en 6 claviers. Le nom Sixxen vient de « six » pour les six Percussions Strasbourg et « xen » de Xenakis. Le sixxen n’a pas été utilisé uniquement par Xenakis. Manoury, dont il était très proche, a écrit beaucoup pour cet instrument, mais d’une manière différente.

Quels sont vos projets cette année ?

Pour marquer notre soixantième anniversaire et les 100 ans de Xenakis, on a sorti un livre-disque avec Persephassa et Pléiades. Je le trouve magnifique en tant qu’objet, toute l’équipe en est très fière. L’enregistrement correspond à l’énergie du groupe d’aujourd’hui. On le dédie aussi à une écoute différente, car on a enregistré en binaural. Cela permet de profiter, avec un casque en stéréo, d'une restitution de la spatialisation et aussi, de toucher un public aujourd'hui habitué à écouter de manière nomade.

L’autre grand projet qu’on a également cette année est une relecture de Musik im Bauch de Stockhausen, écrit pour les Percussions de Strasbourg en 1975, mise en scène par Simon Steen-Andersen. Les Percussions de Strasbourg prennent de plus en plus souvent le risque de se lancer dans des projets performatifs, dans lesquels ils n'hésitent pas à mettre leurs corps en mouvement et jonglent avec des projets qui vont du « traditionnel » récital au spectacle. On ne sait jamais à l’avance quel projet sera une réussite ou non, mais pour moi ce sont toujours des histoires de rencontres et d’intuition. Je vois encore les Percussions de Strasbourg comme un groupe de rock !

 

Élise Guignard

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