Dossiers Musicologiques - Contemporain

Unsuk Chin sans concession

Unsuk Chin
D'abord formée à l'Université de Séoul, Unsuk Chin suit l'enseignement de Ligeti à Hambourg avant de s'installer à Berlin. Mais c'est en France que sa carrière se développe essentiellement.
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Sans se préoccuper des feux de la rampe, concentrée sur la seule qualité de sa musique, la compositrice coréenne a peu à peu conquis une place enviable dans la création. Ce festival présences 2023 que lui consacre Radio France propose le portrait d'une artiste qu'on osera qualifier d'authentique. Rencontre.

Caractériser la musique d'une artiste soucieuse de se renouveler dans chaque partition, revient à lui imposer un carcan esthétique. Unsuk Chin esquive le sujet par une acrobatique pirouette : « J’écris justement ma musique pour ne pas avoir à la décrire ». Et de laisser le journaliste dans le désarroi. Elle tente tout de même de nous donner, non sans longue réflexion, quelques clés : « Fondamentalement, je ne pense pas qu’elle s’inscrive dans une école quelconque. Cela dit, sa couleur et son essence sont plus proches de celles de la musique française que de la musique allemande. J’admire profondément Debussy, qui est sans doute, dans l’histoire de la musique, la plus grande barrière érigée contre l’influence germanique. De manière générale, nous Coréens comprenons mieux la culture française que la culture allemande, parce que nous avons des points communs dans le goût, la mentalité et peut-être même dans la langue. Personnellement, même si je vis en Allemagne, je me sens bien plus proche de la culture française que d’aucune autre ».

Une affinité avec la complexité

Néanmoins, quelle que soit la ligne discursive de chacune de ses œuvres, Unsuk Chin ne transige jamais sur un aspect particulier : « J’ai une certaine affinité avec la complexité et mon processus de composition est toujours très difficile. J’ai besoin de beaucoup d’énergie et de patience, j’ai besoin de dépasser mes limites. Et quand une pièce est créée dans ce type de circonstances, elle ne peut jamais être facile pour les interprètes. Même mes partitions plus « simples », par exemple mon opéra, ont seulement l’air plus aisées ; si vous les regardez de plus près et que vous les travaillez, vous vous rendez compte qu’elles nécessitent beaucoup d’efforts et de musicalité. Je ne saurais dire si ma musique est bonne, mais j’essaie d’écrire la meilleure partition possible. Les bonnes choses ne peuvent jamais être faciles ».

Il est plusieurs nuances de difficulté : « Mon Double concerto pour piano, percussion et orchestre, donné le 7 février par l’Ensemble intercontemporain, est une œuvre très très exigeante, avec beaucoup de notes et beaucoup de tension. Mais il a été écrit spécialement pour les capacités exceptionnelles de cet ensemble spécialisé. Mon Concerto pour violon n° 2 possède des textures moins compliquées et pour l’orchestre et pour le chef, un peu plus pour le soliste. Mais pour moi, la principale difficulté de la pièce n’est pas perceptible sur le papier. Il y a donc des difficultés de natures différentes ». Depuis la création de Fantaisie mécanique en 1994, l'EIC et Unsuk Chin ne se sont jamais quittés. Quant au Concerto pour violon n° 2, il a marqué en janvier 2022 le début d'une collaboration avec Leonidas Kavakos, qui retrouve cette partition le 10 février sous la direction de Kent Nagano, un fidèle de la compositrice, avec le Philharmonique de Radio France. François-Xavier Roth est lui aussi un complice de longue date qui, curieusement, n'a jamais créé la musique d'Unsuk Chin. Anomalie effacée le 11 févier : sous sa baguette, l'Orchestre National de France brillera dans Frontispiz en création française et surtout Alaraph, Ritus des Herzschlags en création mondiale. Il faut bien des artistes de cette trempe pour rendre justice à un art suprêmement raffiné, que d'autres noms prestigieux (Bertrand Chamayou, Alexandre Thauraud ou Sonia Wieder-Atherton) s'emploieront aussi à défendre.

Une musique immédiatement appréhendée

Qu'en est-il des auditeurs ? On ne peut naturellement éviter une problématique qui concerne toute la création musicale. Nulle question cette fois d'éviter une réponse, que la compositrice formule avec sa formidable honnêteté : « Certaines personnes peuvent en comprendre la complexité, mais beaucoup n’ont pas le savoir « professionnel » pour l’aborder ou, tout simplement, ne sont pas des habitués du répertoire contemporain. Le public peut ressentir une impression de complexité mais il peut tout à fait avoir le sentiment que ma musique est aisée : elle contient plusieurs niveaux et certains peuvent être immédiatement appréhendés. Mais il faut que les gens retirent quelque chose de son audition, c’est très important pour moi ».

De fait, le public de Présences fera très certainement son miel des résonances, des couleurs et des rythmes dans une diversité de combinaisons unique. Malgré les tribulations d'une vie souvent difficile – ceci explique peut-être cela –, Unsuk Chin n'a jamais dévié de son chemin, gardant intacte une manière de pureté musicale et, surtout, une énergie indescriptible, sans oublier ce sourire qui habite nombre de ses partitions.

 

Yutha Tep

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