Portraits d'artistes - Chef

Christina Pluhar au cœur du XVIIe

Christina Pluhar Partager sur facebook

Entre la France, l’Autriche et l’Allemagne, l’automne est bien rempli pour Christina Pluhar. La cheffe tant admirée des amoureux de musique ancienne parcourt l’Europe avec son Arpeggiata pour donner deux programmes qui lui tiennent à cœur : l’un avec Philippe Jaroussky qu’on pourra entendre à Versailles, l’autre autour des compositrices italiennes du XVIIe siècle qu’on pourra apprécier Salle Gaveau et qui constitue son dernier album.

La collaboration entre Christina Pluhar et Philippe Jaroussky a commencé en 2003 et a produit de merveilleux fruits année après année. C’est pour célébrer ces 20 ans de travail commun que le programme donné à Versailles a été conçu : « L’idée était de reprendre les pièces emblématiques qu’on a enregistrées au fil de nos albums. Une grande partie du programme est dédiée à la musique française du XVIIe siècle car elle était le cœur de notre dernier disque commun intitulé « Passacalle de la Follie ». Mais il y a aussi des œuvres incontournables de Monteverdi comme Si dolce è il tormento ou des extraits du Couronnement de Poppée, ou de Purcell, comme Music for a while qui conclut le concert. Comme pour tous nos projets, il était très important pour moi de choisir des pièces qui conviennent particulièrement bien à la voix du chanteur. L’improvisation tient aussi une place importante car cela a toujours été la spécialité de l’Arpeggiata. Les nombreuses œuvres du programme basées sur des basses obstinées sont très propices à cette pratique. »  Côté musique française, c’est l’air de cour qui est à l’honneur avec des compositeurs tels que Moulinié, Lambert ou Boësset : « On trouve une très grande variété de styles dans les airs de cour, notamment parce que les compositeurs choisissaient souvent des mélodies populaires pour les arranger de manière plus « savante ». Parfois ils prenaient d’ailleurs des textes italiens, espagnols, ou écrits dans divers dialectes français. Le titre du programme « Passacalle de la Follie » vient ainsi de l’ouverture d’un ballet comique d’Henry de Bailly qui clame « Yo soy la locura » (qui signifie en espagnol « Je suis la folie »). Les airs de cour sont assez théâtraux, parfois drôles, et présentent beaucoup de similitudes avec la musique italienne de la même époque. Ils présentent aussi une écriture très ornée qui devait mettre en valeur la virtuosité du chanteur. Faire ce répertoire avec Philippe Jaroussky est très intéressant car il a une immense maturité musicale et il est habitué à improviser des ornements. »

Hommage aux femmes

A la Salle Gaveau, ce sont les femmes qui seront au centre du concert avec le programme intitulé « Wonder Women », dont l’enregistrement est paru au mois de mai dernier : « Je voulais le dédier aux compositrices italiennes du XVIIe siècles mais aussi à toutes les femmes dans une perspective plus large. Pour cette raison j’ai choisi également des pièces de musique traditionnelle d’Italie et d’Amérique du Sud qui racontent des destins de femmes, souvent tristes et marqués par la violence. La pièce La bruja, c’est-à-dire « la sorcière », me tient particulièrement à cœur. Au Mexique, on appelait « sorcières » toutes les femmes qui ne se soumettaient pas aux règles de la société et qui aspiraient simplement à la liberté. Ce titre est très symbolique dans l’album car il fait écho à la réalité de ce que vivaient les musiciennes du XVIIe. Il leur était très difficile de vivre leur vie d’artiste car la femme devait se marier et se consacrer à la vie de famille. » Parmi les compositrices présentes dans l’album on retrouve l’une de celles qu’on connait le mieux, Barbara Strozzi, mais aussi Isabella Leonarda ou encore Francesca Caccini : « Certaines d’entre elles ont eu des parcours très étonnants. Antonia Bembo par exemple a subi beaucoup de violence dans son mariage, au point qu’elle s’est enfuie de Venise. Elle a dû abandonner ses enfants en Italie et finalement elle a pu faire carrière en France. Cet album nous rappelle tout le chemin qui a été fait pour la liberté des femmes, même si nous ne sommes pas arrivés au bout de ce chemin. Il parle de thématiques encore très actuelles malheureusement. » Pour porter ce programme aussi engagé que sublime d’un point de vue plus musical, quatre chanteurs exceptionnels ont été réunis : Céline Scheen, Luciana Mancini, Benedetta Mazzucato et Vincenzo Capezzuto. Le concert à Gaveau sera suivi d’une autre date en Allemagne, tandis que le programme « Passacalle de la Follie » poursuit lui aussi sa tournée. Pour ceux qui n’auraient pas l’occasion de l’entendre en live, celui-ci fera l’objet d’une captation à Ambronay. Et pour les Parisiens, on retrouvera une nouvelle fois l'Arpeggiata à la salle Gaveau en février, cette fois pour fêter ses 25 ans !

 

Elise Guignard - publié le 2 octobre 2024

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