Portraits d'artistes - Chef

Sébastien Daucé et le XVIIe siècle

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C’est un amour fusionnel qui lie Sébastien Daucé au répertoire français du XVIIe siècle. Cette saison, le chef de l’ensemble correspondances poursuit son travail autour de Charpentier, tout en continuant d’avancer aussi vers de nouveaux horizons.

En 2009 à la création de l’Ensemble Correspondances, l’objectif était clair pour Sébastien Daucé : « On est parti d’un projet bien délimité qui était de défendre la musique sacrée française du xviie siècle, et nous avons tenu cette ligne contre vents et marées. Je ressens une certaine fierté pour notre parcours, qui pouvait sembler si spécialisé au début, voire restreint. Le milieu musical est un écosystème qui fonctionne avec ses impératifs, ses contraintes, ses influences, mais j’ai l’impression d’avoir réussi à tenir la barre pendant ces quatorze années et nous avons montré la richesse inouïe de ce répertoire. Je suis content de voir aussi que cette musique nous a aidés à nous construire en termes de son et d’équipe. On reproche souvent aux ensembles leur interchangeabilité mais je trouve que Correspondances a une couleur spécifique, qu’on peut aimer ou ne pas aimer pas mais qu’en tout cas on reconnait. » Et ce son qui fait indubitablement l’identité de l’ensemble s’est construit au fil de vastes projets : « Nos premiers grands spectacles, tous initiés au théâtre de Caen, ont été essentiels dans notre évolution. Il y a d’abord eu les Histoires sacrées, puis le Ballet Royal de la Nuit qui nous a fait connaître bien au-delà des frontières françaises. Ces projets scéniques sont aussi une manière de montrer que la passion du répertoire sacré n’exclut pas celle du théâtre. J’adore le théâtre au contraire, et j’aime travailler avec des metteurs en scène. »

Pour Correspondances, cette saison a justement été marquée par un nouveau projet scénique d’envergure, qui est David et Jonathas : « Cette partition est l’une des deux grandes œuvres pour la scène de Charpentier. Je rêve aussi de donner l’autre, qui estMédée, mais j’ai préféré commencer par David et Jonathas qui me semblait dans la continuité logique de notre travail sur le répertoire sacré. C’est un objet hybride, où musique et théâtre se mêlent. Le livret est d’une profondeur et d’une beauté incroyables même s’il peut sembler naïf de prime abord pour nos yeux d’adultes. Il parle d’amitié, un sujet relativement rare à l’opéra, loin des passions dévorantes qui se terminent en crimes. On découvre des personnages juvéniles et humains, qui sont à l’âge de l’adolescence où l’on fait les plus grands serments à ses amis. Tout le monde peut se retrouver dans cette histoire. » En attendant l’arrivée de cette production au Théâtre des Champs-Élysées en mars, on pourra entendre du Charpentier en décembre à la Cité de la Musique, dans un programme tout autre qui est sorti en disque cet automne : « Il s’agit d’un programme de Noël autour de la Messe de Minuit, l’une des œuvres les plus connues de Charpentier. J’ai eu un plaisir fou à revenir à cette partition qui peut sembler a priori simple, car on découvre en la travaillant qu’elle est au contraire incroyablement élaborée et riche. L’autre grande œuvre du programme est une histoire sacrée qui raconte la Nativité du Christ. »

Charpentier dans la peau

Le rapport qu’entretient le chef à Charpentier est sans aucun doute tout à fait unique : « Il est mon compositeur de cœur, j’ai passé 25 ans avec sa musique, je l’ai dans la peau. Mon attachement à lui est presque personnel, même s’il est mort il y a plus de 300 ans ! Quand on se penche sur les 28 volumes de ses manuscrits, on a l’impression de pouvoir entrer dans une intimité avec sa pensée et sa création. Son écriture pour la voix me touche particulièrement. Il y a un plaisir vocal immense qu’il faut ressentir et partager. J’aime aussi les couleurs et les saveurs que va trouver Charpentier dans l’harmonie et le contre-point, qui me font penser à celles qu’on trouve un siècle plus tard chez Rameau, et encore plus tard chez Ravel. Récemment, dans le cadre de la première édition des Heures Musicales de la Sainte-Chapelle nous avons pu rejouer la Missa Assumpta est dans le lieu où elle a été créée, et ce fut une expérience complètement folle. Je voyais sur les visages des musiciens une émotion particulière. Je rêve que le Centre des Monuments Nationaux accepte de pérenniser un festival Charpentier à la Sainte-Chapelle, de la même manière qu’il existe un festival Bach à l’Église Saint-Thomas de Leipzig. »

Pour autant, si le répertoire français du xviie siècle est central pour l’ensemble Correspondances, il n’est plus leur unique cheval de bataille : « Je n’ai pas du tout vocation à être enfermé. Depuis 5 ans, nous explorons notamment la musique anglaise du xviie siècle. Nous allons aussi aborder le répertoire italien de la même époque, et on aura certainement un premier projet Rameau d’ici quelques années. »

Travailler par étapes

Mais quel que soit le répertoire, Sébastien Daucé aime travailler à sa manière : « Il est très important pour moi de pouvoir définir la temporalité dans laquelle on avance, aussi bien avec les compositeurs qu’avec les musiciens, et j’aime pouvoir être dans une temporalité longue. Parallèlement à l’opéra, j’aime le travail sur les genres qui s’en rapprochent comme le ballet de cour ou le mask anglais, ou même de pures inventions utilisant les mêmes ingrédients : cela nourrit un rapport particulier à la scène, et j’aimerais pouvoir continuer ainsi dans les années à venir. Pour la piste anglaise, j’ai très envie de monter une grande œuvre de Purcell, mais je ne veux pas l’aborder directement en n’ayant pas travaillé d’abord tout ce qui précède et entoure cette musique. C’est pour cela qu’on a fait l’album Perpetual Night avec Lucile Richardot, avec des pièces rares que je ne connaissais pas avant, puis le mask Cupid and Death ou encore le premier opéra anglais (déclaré comme tel), qui est la Psyche de Matthew Locke. J’ai envie de construire par étapes. Par exemple j’adore Bach, mais il ne me viendrait pas à l’idée de me lancer tout de suite dans ses chefs-d’œuvre sans passer avant par Buxtehude, Schütz et ses partitions de jeunesse... Je ne dis pas que ma manière de travailler est plus juste qu’une autre, mais j’aime fonctionner ainsi. Je veux entretenir la passion et non la brûler. »

Élise Guignard

Du Tac au Tac

  • Votre métier si vous n’étiez pas musicien ?

    Charpentier.
  • Le compositeur que vous auriez aimé rencontrer ?

    Ravel.
  • Une œuvre dont vous ne vous lassez jamais ?

    Hippolyte et Aricie de Rameau.
  • Ce que vous appréciez le plus chez un musicien ?

    Que ce soit quelqu’un d’entier.
  • Votre livre préféré ?

    En ce moment, je dirais Histoires de la nuit de Laurent Mauvignier.
  • L’époque où vous auriez aimé vivre ?

    Aujourd’hui !

3 CD

  • Le Concert Royal de la Nuit - Cavalli, Lambert, Rossi, Boësset… Ensemble Correspondances.

    Le Concert Royal de la Nuit - Cavalli, Lambert, Rossi, Boësset… Ensemble Correspondances.

    2CD Harmonia mundi.
  • Perpetual night - Airs anglais du XVIIe siècle : Johnson, Blow, Purcell… L. Richardot (mezzo), Ensemble Correspondances.

    Perpetual night - Airs anglais du XVIIe siècle : Johnson, Blow, Purcell… L. Richardot (mezzo), Ensemble Correspondances.

    1 CD Harmonia mundi.
  • Charpentier Histoires sacrées (Caecilia, Virgo & Martyr ; Judith, sive Bethulia liberata…) Ensemble Correspondances.

    Charpentier Histoires sacrées (Caecilia, Virgo & Martyr ; Judith, sive Bethulia liberata…) Ensemble Correspondances.

    2 CD Harmonia mundi.

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