Eva Zaïcik voix de velours

Timbre soyeux, art du phrasé et présence magnétique : Eva Zaïcik s’est imposée en quelques années comme l’une des grandes voix du paysage lyrique français. Elle évoque ici son dernier album consacré à Célestine Galli-Marié et la reprise du Nisi Dominus de Vivaldi avec le Poème Harmonique.
À celle qui semble chanter comme elle respire depuis ses premiers engagements, le temps continue d’apporter toujours plus d’épanouissement vocal : « Aujourd’hui, chanter s’avère pour moi de plus en plus confortable et agréable. Les années de travail technique portent leurs fruits : j’ai gagné en aigu, en grave, en lyrisme, en liberté. C’est un sentiment d’accomplissement, mais aussi d’ouverture vers de nouveaux horizons. » Outre des saisons musicales d’une grande richesse, c’est une expérience de vie qu’Eva Zaïcik place au cœur de son évolution artistique récente : « La maternité a bouleversé mon rapport à la musique. Elle m’a permis un véritable lâcher-prise, aussi bien vocal qu’artistique. J’ai senti une transformation dans mon souffle, ma résonance, ma puissance. Depuis, je me sens pleinement en possession de mes moyens. C’est une nouvelle maturité, une étape décisive dans mon rapport à la voix et à l’interprétation. »
De ses premiers émois musicaux à ses succès actuels, la mezzo revient sur les grands chapitres qui ont fait avancer son histoire : « Avant mes 20 ans, je ne lisais pas une seule note de musique. Pourtant, j’ai toujours chanté. Enfant, j’avais intégré une chorale où l’on interprétait aussi bien Bach que les Beatles, tout à l’oreille, puis adolescente je faisais partie d’un groupe de rock. J’ai commencé des études de médecine mais j’ai compris très vite que le chant m’était vital. C’est à ce moment-là que je me suis inscrite à la Maîtrise de Notre-Dame de Paris, puis je suis entrée au Conservatoire National Supérieur de Paris. La rencontre avec ma professeure de chant Élène Golgevit fut déterminante. Je suis restée huit ans là-bas : licence, master, doctorat. Je n’arrivais pas à m’arrêter d’apprendre. Chaque répertoire que je découvrais m’enthousiasmait, et je voulais tous les explorer. La diversité de mes projets actuels en est le reflet. » Toutes les portes se sont triomphalement ouvertes en 2018 pour la jeune mezzo : « J’ai remporté le deuxième prix au Concours Reine Élisabeth, la Révélation Artiste Lyrique des Victoires de la musique classique, j’ai participé au Jardin des Voix de William Christie... Cette année-là fut un vrai tremplin. »
Rester fidèle à soi-même
Depuis, Eva Zaïcik a suivi un chemin aussi éblouissant que personnel, suivant la boussole de ses envies. La musique ancienne a notamment joué un rôle central pour elle, l’amenant à travailler avec les plus grands ensembles spécialisés, comme le Poème Harmonique de Vincent Dumestre : « Cette collaboration a commencé en 2016, quand je sortais tout juste du CNSM, et ne s’est jamais essoufflée. Il existe entre nous un lien humain et artistique très fort. Le Poème Harmonique est le premier ensemble que j’ai écouté, et Claire Lefilliâtre a été un modèle pour moi. C’était un rêve à l’époque de penser que je pourrais travailler avec eux un jour. Aujourd’hui, je passe près de la moitié de l’année à leurs côtés, c’est un peu ma maison. » Ce mois-ci, dans le cadre du Festival de Paris, le Poème Harmonique entoure la mezzo pour un Nisi Dominus de Vivaldi, qu’ils ont d’ailleurs enregistré ensemble : « J’ai un lien très fort avec cette œuvre. Pour l’anecdote, ma mère écoutait beaucoup Vivaldi, et notamment le Nisi Dominus, quand elle était enceinte de moi. Cette musique exige à la fois une grande intériorité et beaucoup d’agilité vocale. » Pour autant, il ne faudrait pas voir ce goût pour les répertoires anciens comme l’unique fil conducteur de son parcours. Pourvue d’une voix longue aux possibilités infinies, mariant lumière et profondeur, la chanteuse aime varier les projets : « Je ne veux pas être enfermée dans une case. J’aime passer du récital à l’opéra, et du baroque au romantisme. Je crois que les répertoires se nourrissent les uns les autres, Monteverdi éclaire Berlioz, et vice versa. Cette perméabilité me passionne. » Le dernier album solo d’Eva Zaïcik, intitulé « Rebelle », nous fait ainsi visiter le XIXe siècle : « Ce projet est né du désir de montrer une autre facette de mon identité artistique, au-delà du baroque. Je voulais défendre le répertoire romantique français qui me tient très à cœur, et rendre hommage à Célestine Galli-Marié. C’était une femme libre, audacieuse, une actrice autant qu’une chanteuse, qui ne faisait qu’un avec les personnages qu’elle interprétait. Elle a créé pas moins de 16 rôles à l’Opéra-Comique en 15 ans, dont Carmen mais aussi Mignon ou Fantasio ! Elle méritait d’être replacée au centre de l’histoire. Elle incarne une vision de l’artiste qui me touche profondément : celui qui trouve la liberté de tracer sa propre route. »
Elise Guignard - publié le 01/06/25