Lise Davidsen l'étoile du Nord
Voici sans doute l'une des voix les plus phénoménales à avoir émergé sur les scènes lyriques de ces dernières décennies. La soprano norvégienne Lise Davidsen a subjugué le monde entier par un matériel vocal d'une ampleur sans précédent, qu'elle sculpte avec une sensibilité suprême.
Nous citerons la soprano Andriana Gonzalez : « C'est une voix comme on en rencontre une fois tous les cent ans ». Parole d'évangile, venant d'une soprano elle-même magnifique. Pour qui entend pour la première fois Lise Davidsen, parions que son premier sentiment sera la stupéfaction face à l'immensité vocale se déployant sous ses oreilles. Viendra ensuite l'admiration devant une capacité à faire flotter des aigus célestes, qualité rare s'agissant d'une voix de cette dimension. Cette souplesse s'avère le produit d'un dur labeur : « J'ai beaucoup travaillé pour l'obtenir et je travaille énormément pour la conserver. Quand vous avez des cordes vocales plus longues, chanter fort vous vient naturellement. En revanche, le contrôle, voilà la chose la plus difficile à acquérir, cela demande des efforts quotidiens ». Pour ses débuts scéniques à l'Opéra Bastille, Lise Davidsen mettra certainement à contribution cette palette dynamique exceptionnelle dans le rôle en or mais si périlleux de Salome de Richard Strauss : « Je me prépare depuis maintenant quelque temps. Bien sûr, c'est un grand rôle et j'ai toujours su que je voulais le chanter. Il fallait simplement le bon moment et le bon endroit. L'Opéra de Paris me l'a offert et le timing était le bon. Salome exige un grand travail dans le sens où il ne me suffit pas de mémoriser la musique puis d'espérer que tout va bien se passer. J'ai besoin d'installer pleinement le rôle dans la voix. »
Trouver les bonnes couleurs
L'une des grandes Maréchales du Chevalier à la Rose de notre temps, Ariadne non moins bouleversante, Lise Davidsen entend bien explorer toutes les contradictions psychologiques de la princesse de Judée : « Comme bien des rôles straussiens, celui de Salome peut être chanté par différentes voix, et des sopranos plus légères l'ont abordé. D'une certaine manière, il est plus simple pour elles parce que le registre supérieur leur vient plus naturellement. Mais l'essentiel, le grand défi, réside dans son intensité, outre la présence de cet orchestre énorme. Tout le monde attend la grande scène finale mais pour moi, le rôle est difficile dès le début, dès la rencontre avec Jochanaan et toute la partie amoureuse de la partition. La beauté vocale est certes importante, elle résulte d'une technique bien installée, mais ce qui est passionnant, c'est de trouver les bonnes couleurs. Car Salome ne se connaît pas elle-même, elle change constamment tout au long de l'opéra. Il n'y a pas une continuité psychologique comme pour La Maréchale, Ariadne ou Arabella. »
L'art vocal éminemment sophistiqué de Lise Davidsen ne sera pas de trop pour cette figure énigmatique : « À mes yeux, la Maréchale ou Arabella sont des personnes, des femmes dont on peut se sentir proche. Ariadne ou Salome sont davantage des personnages – je ne connais pas de Salome dans ma vie quotidienne, il n'y a pas de Salome arpentant les rues de Paris. Ce qui ne veut pas dire qu'on ne ressent pas d'émotions très profondes chez cette jeune fille qui a le pouvoir tout en ne l'ayant pas, padoxalement. Il est nécessaire d'entrer dans son monde, l'époque où elle est née, pour l'incarner. C'est ce que j'aime chez Strauss, sa capacité à évoque des mondes imaginaires puis d'autres plus réalistes. »
Le chant, une priorité, pas un sacrifice
De Barcelone à Munich, en passant par New York où le Metropolitan Opera est devenu comme un foyer musical, Lise Davidsen ne finit pas d'éblouir public et critique. Cette marche en avant triomphale, initiée par sa Victoire au Concours Operalia 2015, apporte son lot de préoccupations : « Pour être honnête, je n'étais pas préparée à une telle carrière, je ne savais rien de ce monde. Bien sûr, je suis extrêmement chanceuse de travailler à ce niveau, dans les plus merveilleuses maisons et avec des personnes formidables. Évidemment, ce privilège vient avec la pression et une grande responsabilité, et plus rien de ce que je fais n'est anodin. Avec l'expérience, même si les attentes se font plus grandes si l'on considère les rôles que j'aborde, ma vie trouve aussi un équilibre meilleur qu'à mes débuts. »
Ne pas se laisser emporter par le tourbillon du succès, garder suffisamment de lucidité pour dire non, tels sont les défis communs aux étoiles du chant : « En toute franchise, il devient de plus en plus difficile de refuser une proposition. J'ai maintenant abordé nombre des ouvrages que je désirais chanter. Après Tosca, j'ai par exemple fait mes débuts en Leonora de La Forza del Destino à New York, et je vais garder l'opéra italien – Verdi, Puccini – à mon répertoire. Salome constitue un pas supplémentaire vers des rôles plus lourds. Tout cela me fait un peu peur mais je sais quand je veux les aborder et dans quel environnement, je travaille très dur en ce sens. »
Que les admirateurs de Lise Davidsen se rassurent, notre chanteuse semble avoir fermement les pied sur terre : « Il y a mon agent dont je suis très proche, mon fiancé qui voyage avec moi, et toute ma famille. Mes parents, ma sœur et mon frère ne connaissent pas le monde de l'opéra. Ils ont un immense respect pour mon travail et me soutiennent énormémént. Mais ils ont leur vie et quand nous parlons, à la fin de la journée, même si chanter représente pour moi un privilège, ma carrière est simplement mon travail, rien de plus. Et c'est très bien comme cela. Nous, chanteurs, emportons notre instrument avec nous tout le temps et partout, c'est tellement ennyeux ! On en arrive à ne pas entrer dans une boutique parce qu'il y a trop de monde et qu'on a peur de tomber malade. Je pense qu'il est très dangereux d'emprunter cette voie. Une championne de ski norvégienne a dit un jour : mon métier n'est pas un sacrifice, une priorité certes mais pas un sacrifice. Pour moi, c'est le parfait état d'esprit. »
Yutha Tep