Dossiers Musicologiques - XXe siècle

Christian Sinding les symphonies

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Célèbre à son époque, Christian Sinding est un nom aujourd’hui tombé dans l’oubli. À la tête du Norrköping Symphony Orchestra, Karl-Heinz Steffens remet à l’honneur la musique de cet éminent compositeur norvégien dans une intégrale de ses symphonies parue chez Capriccio.

Sinding fut, tout autant que Grieg, le compositeur norvégien le plus connu avant la seconde guerre mondiale. Au contraire de son aîné, il ne chercha pas son inspiration dans la tradition populaire de son pays : formé au Conservatoire de Leipzig et fasciné par Wagner, il privilégia un style musical international adaptant les innovations de Liszt et du maître de Bayreuth en matière de langage aux formes traditionnelles de la musique pure alors cultivées par Brahms : sonate, concerto, musique de chambre et de piano, et, tout particulièrement, symphonie. Cet héritage germanique ne l’empêcha pas d’imprimer à sa musique un indiscutable caractère national : sans avoir recours au folklore, il sut affirmer son nationalisme « en profondeur », en faisant chanter l’âme de son pays avec autant de ferveur et d’intensité que le faisait alors en Grande Bretagne Elgar, lui aussi infiniment plus marqué par l’héritage germanique que par la musique populaire. La tradition nordique est dominée par le monde légendaire des sagas : le tempérament fougueux et entier de Sinding le prédestinait à être un barde au plein sens du terme, capable de greffer sur ses œuvres, presqu’exclusivement de musique pure (à l’exception l’opéra La Montagne sacrée), l’atmosphère des récits héroïques relatant les exploits légendaires du temps des Vikings. C’est particulièrement vrai de ses quatre symphonies. Leur wagnérisme impénitent (davantage débiteur des chevauchées de Siegfried ou des truculentes jubilations des Maîtres Chanteurs, que de Tristan) les rapproche parfois de Bruckner, sans toutefois la dimension religieuse de ces dernières ni leur ampleur « surhumaine ». Sinding est au contraire essentiellement « humain », un « romantique réaliste » affrontant sans répit et sans se laisser démonter les assauts du destin ; à cet égard, son énergie volontaire et bouillonnante le rapproche de Richard Strauss, dont il partage le brio, la luxuriance orchestrale et l’élan juvénile intarissable. Il a hérité de Beethoven le martial optimisme et l’art du bâtisseur d’édifices sonores de proportions amples et équilibrées, aux lignes contrapuntiques à la fois denses et claires (Grieg jugeait le premier mouvement de la Symphonie n°1, empreint de mystère et d’héroïsme, dans la lignée de celui de la Neuvième beethovénienne, dont il partage le ton de ré mineur). Ces symphonies ruissellent de belles et mémorables mélodies, dont le noble profil est rehaussé par une richesse harmonique dont les modulations inattendues et les résolutions exceptionnelles renouvellent l’attention de l’auditeur. Le thème du mouvement lent de la Symphonie n°2 est emblématique de cette inépuisable veine mélodique : une large et généreuse cantilène dont le bel canto pourrait prendre place dans un opéra de Puccini. Les seconde et troisièmes symphonies constituent un magistral monument élevé à la gloire de Wagner : à l’instar de la Symphonie n°2 de Vincent d’Indy, elles permettent d’imaginer ce qu’auraient pu être des symphonies de la main du maître de Bayreuth. Episodes chevaleresques est le titre donné par le compositeur norvégien à sa Suite d’orchestre op.35 ; de fait, il conviendrait parfaitement à ces deux symphonies résonnantes d’exploits guerriers et des échos de martiales fanfares dans les profondes vallées, avec les cimes enneigées des montagnes en arrière-plan. La Symphonie n°4 est l’unique concession à la musique à programme de l’auteur, qui se voulait un adepte de la musique pure. Dernière grande œuvre d’un musicien octogénaire (1936), elle s’intitule L’Hiver et le Printemps et Sinding l’a intitulée Rhapsodie pour orchestre et non pas symphonie. En fait, ses sept parties qui s’enchaînent sans interruption s’organisent autour d’une structure de sonate savamment conçue, la métamorphose des thèmes et leur retour engendrant une forme cyclique conciliant complexité et logique dans le cadre du « programme littéraire » de l’œuvre. Celui-ci est un poème de la main de Sinding lui-même : après la rigueur et l’austérité de l’hiver, le retour des forces vernales symbolisant la vie, l’activité de l’homme et l’éternel retour. Comme l’on pouvait s’y attendre, la nature volontaire et optimiste de l’auteur s’attache davantage à l’irrépressible déferlement d’énergie et de lumière du Printemps et du renouveau vital qu’au « Crépuscule de l’existence » symbolisé par la nuit hivernale. Pour célébrer cet hymne à le joie, Sinding convoque un vaste orchestre incorporant clarinette basse, harpe et piano, et dont l’éclatante radiance met merveilleusement en valeur une écriture touffue et volubile, dont les effusions jubilatoires s’apparentent à Richard Strauss. Cette magnifique glorification du printemps a la valeur d’un véritable acte de foi. Véritable « triomphe de la volonté », elle résume l’œuvre et la nature d’un artiste au tempérament difficile et sans concession, obstiné et têtu, impulsif mais également chaleureux, qui n’avait jamais cédé devant les épreuves traversées au cours d’une jeunesse difficile. Mais le succès était au bout du chemin, et la création triomphale de son magistral Quintette pour piano et cordes op.5 au Gewandhaus de Leipzig, en janvier 1889, qualifié de chef d’œuvre par Grieg et par Tchaïkovski, allait constituer le coup d’envoi d’une carrière qui ferait de lui l’emblème musical de la Norvège. De même que Bruckner en Autriche, il se vit allouer en 1924 par l’Etat une résidence où avait vécu l’écrivain Henrik Wergeland, en sus d’un salaire d’honneur attribué depuis 1921. Cette année là, il accepta un poste de professeur à l’Eastman School of Music de Rochester (New York) pour y enseigner la composition. Il se rendait fréquemment en Allemagne, où furent créés notamment sa Symphonie n°2 et son opéra Der heilige Berg (La Montagne sacrée), et où sa musique rencontrait un vif succès. La création de la Symphonie n°4 à Bergen le 13 janvier 1936 fut l’un des temps forts des dernières années du musicien. Il mourut le 13 janvier 1941, dans un relatif isolement du fait de la surdité. Après 1945, sa musique se montra particulièrement vulnérable aux attaques de l’Avant-garde musicale dont la dictature étendait alors son emprise sur toute l’Europe occidentale. Les qualités rhétoriques de Sinding passaient alors pour emphatiques ou pompeuses : son sens aigu du discours musical et de ses nécessaires phases de péroraisons assure toujours à ses grandes œuvres une conclusion bien amenée et remarquablement efficace. Moins encline à de telle démonstrations d’éloquences, la musique de Grieg échappait plus facilement aux critiques intolérantes des « modernistes ». Jouèrent également des controverses partisanes, discutables et totalement étrangères à la musique. Il en résulta un boycott de ses œuvres à la radio et dans les salles de concert pendant plusieurs décennies, après 1945, fort préjudiciable au patrimoine musical norvégien.

Une nouvelle intégrale des symphonies

Ses œuvres majeures ont été remises à l’honneur, en grande partie grâce au disque : à preuve cette nouvelle intégrale des symphonies, la troisième après celles parues sous les labels Finlandia et CPO, et après la gravure des deux premières symphonies par le label NKF du Conseil culturel norvégien à la fin des années 1970. Pour Karl-Heinz Steffens, la découverte de Sinding a été une révélation et il confesse une particulière tendresse pour ces pages romantiques, si originales et si négligées. Il trouve d’instinct le tempo juste, suffisamment large pour assurer une parfaite clarté de perception à chaque ligne de la riche polyphonie si caractéristique de l’auteur, et pour ménager aux vastes progressions du discours toute leur efficacité. Il y ajoute l’élan et l’enthousiasme indispensables à l’animation et à la pétulance juvénile d’une musique qui, sous sa direction, acquiert une valeur d’espoir et de réconfort particulièrement précieux en notre ténébreuse époque de barbarie… Il communique sa détermination et son enthousiasme à l’un des meilleurs orchestres de Suède, dont la précision et la rigueur, jointes à une brillante virtuosité, font merveille dans ces pages éblouissantes.

Michel Fleury - publié le 01/04/25

 

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