Leonard Bernstein West Side Story
Chef-d’œuvre de Bernstein et joyau de la comédie musicale américaine, West Side Story continue de séduire le public décennies après décennies. Au théâtre du châtelet, une nouvelle production très attendue sera donnée jusqu’à la fin de l’année.
Dans les années 1950, alors que la comédie musicale triomphait à Broadway, une œuvre allait marquer son histoire : West Side Story. Alors que s’enchainaient dans les théâtres des pièces essentiellement légères, Leonard Bernstein y apporta une tragédie : le spectacle se concluait sur la mort de l’un de ses personnages principaux (ce n’était cependant pas la première fois dans l’histoire de la comédie musicale) et évoquait des problématiques socio-culturelles contemporaines. Mais West Side Story n’était pas l’œuvre d’un seul homme. Penchons-nous un peu sur sa longue gestation, qui nous ramène au chorégraphe Jerome Robbins : ce fut lui qui, au milieu des années 1940, envisagea pour la première fois une adaptation musicale contemporaine de Roméo et Juliette. L’idée lui vint pendant qu’il cherchait à aider son ami Montgomery Clift. Le jeune acteur se disait peu inspiré par le personnage de Roméo qu’il devait jouer et Robbins lui conseilla d’imaginer l’œuvre transposée dans le New-York de leur époque. Séduit par sa propre idée, le chorégraphe proposa le projet à Leonard Bernstein (pour la musique) et Arthur Laurents (pour le livret). Initialement, l’histoire devait mettre en scène le conflit entre une famille catholique et une famille juive dans le Lower East Side de Manhattan. Un premier texte fut écrit sous le titre d’East Side Story, mais le projet n’aboutit pas. Lorsque les trois hommes se retrouvèrent six ans plus tard au détour d’une autre production, ils envisagèrent de reprendre leur ébauche de pièce mais en changeant son contexte : la presse faisait alors ses choux gras des guerres de gangs et des conflits sociaux liés à l’immigration portoricaine. Les familles catholiques et juives de la première version furent remplacées par deux gangs évoluant dans le quartier pauvre et sous tension de l’Upper West Side : les Jets, de jeunes américains blancs, et les Sharks, de jeunes immigrés portoricains. Ainsi naquit West Side Story (et non Gangway ou Shut Up and Dance, titres qui avaient été envisagés pendant la gestation du projet), le parolier Stephen Sondheim se joignant à l’équipe artistique. L’œuvre fut créée le 26 septembre 1957 au Winter Garden Theatre de Broadway et connut un succès éclatant immédiat, qui s’étendit dans le monde entier. L’adaptation cinématographique de Robert Wise en 1961 appuya encore sa popularité quelques années plus tard, remportant une dizaine d’Oscars.
Fracture sociale
La question de l’immigration, qui sert de toile de fond à West Side Story, fut un sujet d’importance aux États-Unis lors de l’industrialisation des années d’après-guerre. Les emplois venaient à manquer à Porto Rico dans le secteur agricole, et beaucoup de jeunes portoricains arrivaient à New-York, espérant y trouver une vie meilleure. Mais le fameux « american dream » basé sur l’idée d’égalité des chances se heurtait à de dures réalités. Elles sont évoquées très directement dans la chanson America, l’un des passages célèbres de West Side Story : les populations immigrées se trouvaient embourbées au plus bas de l’échelle sociale, occupant des emplois ingrats et mal rémunérés. Le manque de logement dans les grandes villes les condamnait aussi à vivre dans des conditions extrêmement précaires. D’autres scènes de l’œuvre de Bernstein soulèvent la question du racisme, comme l’arrivée d’Anita chez les Jets, accueillie par des insultes et manquant de peu d’être violée.
Mais West Side Story n’est pas uniquement la peinture d’une fracture culturelle et sociale, c’est aussi une histoire d’amour. On retrouve l’intrigue de Roméo et Juliette, dans un contexte spatio-temporel complètement différent et avec quelques modifications par rapport à la pièce de Shakespeare dont on peut citer des exemples : les parents des jeunes gens ne font pas partie du tableau, Roméo n’a pas de fiancée (normalement Rosaline), et surtout, l’œuvre se conclut différemment. Alors que les deux amoureux se tuent pour ne pas vivre l’un sans l’autre chez Shakespeare, Maria reste en vie dans West Side Story, dispensant un message sur les conséquences de la haine. Pour Arthur Laurents, elle est « assez forte pour s’empêcher de se tuer par amour ». Parallèlement à ces transformations, beaucoup de passages de la comédie musicale rendent directement hommage à la pièce du dramaturge anglais, notamment la chanson Tonight que les deux protagonistes chantent sur un escalier de secours devant la fenêtre de Maria, en référence à la scène du balcon.
Aujourd’hui, l’œuvre semble connaître un succès toujours aussi retentissant, qu’on peut aisément expliquer par sa beauté musicale et visuelle mais également par son sujet social qui fait écho au monde actuel. En témoigne la nouvelle adaptation cinématographique de Steven Spielberg basée sur le film de Robert Wise, sortie en 2021.
Élise Guignard