Cristian Măcelaru chef de cœur
Sa nomination comme directeur musical de l'Orchestre National de France avait quelque peu surpris. Annoncée pour septembre 2021, sa prise de fonction a été avancée à septembre 2020, reflet du véritable coup de foudre entre la phalange parisienne et Cristian Măcelaru.
Le 27 septembre 2018, Cristian Măcelaru dirigeait pour la première fois « le National » dans le plus périlleux des programmes : dans Vivier, Berg ou Dusapin, les membres de l'orchestre avaient été impressionnés par la précision de sa battue, puis emportés par sa vision de l'Adagio de la Symphonie n° 10 de Mahler. De l'aveu général, orchestre et chef unis en un même élan, les choses ne pouvaient pas en rester là. Quatre années plus tard, perdure l'amour des premiers jours : « Vous savez, chaque semaine que nous passons ensemble, j’ai le sentiment que nous dialoguons plus profondément et que nous découvrons toujours plus de choses, plus de possibilités pour jouer mieux. J’aime par exemple le fait que beaucoup de jeunes musiciens nous ont rejoints ces derniers temps mais nous sommes capables aussi d’apprendre du passé de notre orchestre ». Cet attachement à la si riche histoire du National va de pair avec une fierté plus large : « Le passé du National est phénoménal, il y a eu avant moi de fantastiques chefs et directeurs musicaux, avec un répertoire immense et un nombre incroyable de créations : Debussy, Messiaen, Dutilleux, sans oublier les liens étroits avec les compositeurs vivants. Je me sens la grande responsabilité de préserver l’incroyable tradition d’un orchestre qui a toujours été sur le devant de la scène dans la culture française ».
Un tribut prudent aux traditions
Nulle question toutefois de s'abandonner à une routine, aussi confortable soit-elle et Cristian Măcelaru paie un tribut sincère mais prudent à une divinité parfois tyrannique, la tradition : « La tradition n'est pas une mauvaise chose, car il est important de savoir ce que d’autres musiciens ont pu accomplir avant vous. J’essaie de comprendre comment et pourquoi sont nées toutes les traditions d’interprétation, et surtout de savoir si elles aident vraiment la musique. Parfois, on découvre simplement une solution pour interpréter plus facilement une partition, et cette solution devient de plus en plus ancrée, finissant par donner naissance à une tradition. Pour ma part, je préfère aborder une œuvre comme si elle était entièrement neuve. Le désir et la volonté de l’orchestre d'aborder Ravel comme si c’était son premier contact avec sa musique, de jouer Franck ou Scriabine comme si c’était la première fois, c’est le magnifique cadeau que la National me fait quand nous nous retrouvons ». Cette volonté de se renouveler en permanence, Cristian Măcelaru se l'impose d'abord à lui-même : « J’essaie de regarder chaque note en me demandant : si tu n’avais jamais entendu cette note auparavant, comment l’approcherais-tu de la façon la plus simple possible ? Ensuite, j’essaie une chose puis une autre, ce qui détermine alors un certain langage harmonique, puis le caractère de la musique, etc. Tout cela cumulé devient alors l’interprétation ».
La juste alchimie entre cerveau et cœur
Ce désir irrésistible de décortiquer chaque mesure ne signifie pas une battue abusivement scientifique : « Pour beaucoup de musiciens, tout vient du cœur. Pour moi, il faut la bonne alchimie. Le cœur est important bien sûr mais si ce que je fais ne satisfait pas mon cerveau, je ne suis pas content. On jugera peut-être mon approche très intellectuelle. Je dis toujours que pour moi, la musique doit d’abord venir du cerveau, puis elle arrive au cœur et c’est seulement à ce moment là que je peux l’offrir à un public. En fait, je pense qu’il y a beaucoup de va-et-vient entre le cerveau et le cœur. J’ai appris cela notamment de Daniil Trifonov. Nous faisions un concert ensemble et avant de monter sur scène, je l’ai entendu jouer la musique de façon très très lente. Il m’a dit : « Je suis juste en train de chauffer mes émotions ». J’ai trouvé que c’était un façon très belle de décrire la manière dont on se prépare à un concert, parce qu’il ne faut pas seulement chauffer ses muscles ou trouver le bon geste intellectuel. Il faut aussi savoir comment dévoiler ses émotions et c’est quelque chose que l’on apprend ! ».
Parions que cette juste alchimie s'exprimera dans le Concerto pour orchestre de Bela Bartók donné le 17 novembre. Pour Cristian Măcelaru, même une figure aussi singulière que le maître hongrois doit être époussetée : « Le Concerto pour orchestre est une pièce tellement conservatrice si on la compare au reste de la production de Bartók. Il l’a composée à la fin de sa vie et elle est très traditionnelle dans son style, sa forme. Mais elle est remplie de vie et de joie dans ses passages en forme de danse, de beauté, de tristesse dans son mouvement lent. Je me bats contre les traditions pour l’ensemble de l'œuvre de Bartók. Dans sa musique, il y a des dizaines de très petites – presque imperceptibles – indications qui sont extrêmement importantes. Très souvent, on essaie de s’en accommoder pour rendre l’exécution plus facile, mais je ne peux pas m’y résoudre. Je tente de comprendre ce qui, dans le caractère de la musique, demande qu’on respecte toutes ces indications, même si parfois cela relève de l’impossible. Par ailleurs, à mes yeux, il est très important, en particulier dans le Concerto pour orchestre, que le public sorte de la salle en ayant la conscience que la musique de Bartók est le plus grand exemple de musique expressionniste. Je suis persuadé que, une fois cette idée acceptée, on comprend un peu mieux son style. Si nous écoutons Bartók simplement comme de la musique moderne, et cela arrive souvent, on ne fait qu’en égratigner la surface. Les publics ont encore peur d’ouvrir leur cœur à sa musique et si je parviens, à la fin de ma vie, à changer cela, ce serait pour moi le plus merveilleux des cadeaux ».
Cristian Măcelaru vient d’être reconduit jusqu’en 2027. Les fidèles du National sont bien chanceux !
Yutha Tep