Thibault Noally l'explorateur
De tous les ensembles baroques rayonnant en France, les Accents se distinguent par leur amour du répertoire italien et des œuvres rares. Sous la direction savante et passionnée de Thibault Noally, ils reprennent le Mitridate Eupatore de Scarlatti à l’Auditorium du Louvre.
C’est en 2014 que le public put découvrir Les Accents, lors d’un concert au Festival de Beaune avec la mezzo Gaëlle Arquez. Il était la concrétisation d’une envie que Thibault Noally nourrissait depuis longtemps : « J’avais envie de créer un ensemble depuis quelques années mais j’ai mis un peu de temps avant de sauter le pas. Je voulais travailler sur un répertoire qui se jouait trop peu en France à mon goût : au départ on s’est concentré uniquement sur l’oratorio baroque italien, avec Porpora, Caldara, Scarlatti… Puis petit à petit j’ai ouvert le répertoire de l’ensemble aux raretés de l’opera seria italien. » La vie de l’ensemble s’est développée ensuite autour de la redécouverte de grands chefs-d’œuvre : « On a recréé en 2015 un oratorio de Porpora qui n’avait jamais été refait depuis le xviiie, Il Trionfo della Divina Giustizia, puis on a continué dans cette direction avec d’autres œuvres rares comme Tamerlano de Vivaldi en 2016 et ce fameux Mitridate de Scarlatti en 2017, qu’on redonne aujourd’hui. » Lorsque le chef évoque Alessandro Scarlatti, on sent un véritable engouement : « Il a été une figure emblématique pour l’Italie, comme Bach l’a été pour l’Allemagne. Ce sont des compositeurs à part, qui furent des guides pour les générations suivantes. Scarlatti représente parfaitement ce qu’était la musique napolitaine. Il était en fait sicilien, mais il a passé la majeure partie de sa carrière à Naples et il a formé beaucoup de compositeurs de cette école. Il était un maitre incontesté de la science d’écriture, il connaissait parfaitement l’harmonie et il avait un art du contrepoint passionnant. »
Un modèle d'opera seria
Au Louvre, qui accueille actuellement une exposition sur Naples à Paris, l’occasion de jouer du Scarlatti était idéale : « Laurent Muraro, qui s’occupe de la programmation, souhaitait donner des œuvres en lien avec l’exposition. On a ainsi eu la chance de donner pour l’inauguration l’oratorio La Giuditta avec l’Académie de l’Opéra de Paris, et on a aussi proposé Mitridate. Laurent a été tout de suite enthousiaste, d’autant plus que la distribution est magnifique avec Paul-Antoine Bénos-Djian, Julia Lezhneva, Vivica Genaux, Anthéa Pichanick… » Bien que peu jouée, Mitridate est une œuvre phare dans l’histoire musicale : « C’est un opéra extrêmement important, emblématique de ce qu’était l’opera seria. Mais il n’en reste pas moins atypique. En général l’opera seria italien est en 3 actes, mais l’œuvre est basée ici sur le modèle français de la tragédie lyrique, en 5 actes. C’est une partition de très grande envergure, très riche et très variée. Pourtant elle n’est presque jamais donnée, il n’y a que Thomas Hengelbrock qui s’y était intéressé il y a une trentaine d’années. L’œuvre raconte le retour d’un jeune roi dans son pays, sur fond de trahison et de confrontations familiales. C’est très similaire à la tragédie des Atrides. La violence qui s’en dégage est assez inhabituelle pour l’époque, elle est même provocante. Il y a deux meurtres sur scène, ce qui ne respectait pas les codes de l’opera seria. La musique de Scarlatti sublime la tragédie. Certaines scènes de déploration contiennent des airs absolument magnifiques. Les instrumentations sont assez variées, il y a des airs avec hautbois solo, des airs avec trompette... » Pourtant, comme beaucoup de chefs-d’œuvre, Mitridate ne connut pas des débuts faciles comme le précise Thibault Noally : « Scarlatti attendait beaucoup de son expérience vénitienne car la ville était l’un des grands centres de création d’opéras depuis le milieu du xviie siècle. Il y donna Mitridate et Il Trionfo della Liberta, une partition dont il ne reste malheureusement pas grand-chose. Mais Mitridate fut un vrai four lors de sa création ! Ce qu’on peut expliquer par plusieurs raisons : sa violence, mais aussi son écriture. La partition était très complexe, dans un style peu apprécié du grand public à ce moment-là. Les compositeurs à Venise proposaient des œuvres bien plus simples, qui nous paraissent presque archaïques aujourd’hui en comparaison avec Scarlatti. Le public vénitien n’était pas du tout préparé à recevoir un opéra comme Mitridate. »
Le concert au Louvre s’intègre avec une parfaite cohérence à la saison parisienne des Accents, qui s’articule autour de l’opera seria : « Mon projet était de proposer dans la même saison une rareté de première importance, qui est donc notre Mitridate, en face d’un tube absolu, qui est Rinaldo de Händel qu’on va donner le 2 février au Théâtre des Champs-Élysées. Ce sont des œuvres contemporaines car elles ont été créées à quelques années d’écart. Pendant que Scarlatti est à Venise, Händel est aussi en Italie et il a sûrement entendu sa musique un peu partout dans le pays. La filiation entre les œuvres est donc importante. » La boucle sera bouclée le 14 mai au Théâtre des Champs-Élysées encore, avec un concert présentant des grands airs d’operas serias italiens. Pour l’occasion, Les Accents s’entourent comme à leur habitude de véritables étoiles : Christophe Dumaux, Eva Zaicik, Lauranne Oliva et Bruno de Sá.
Élise Guignard