Portraits d'artistes - Cordes

Emmanuelle Bertrand Le devoir de mémoire

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Seule en scène, Emmanuelle Bertrand fait revivre avec passion le souvenir du légendaire violoncelliste Maurice Maréchal à travers ses carnets de guerre et une copie de son violoncelle le « Poilu » fabriqué en 1915 dans les tranchées par des soldats menuisiers.

Figure incontournable du monde musical, la violoncelliste Emmanuelle Bertrand mène une carrière placée sous le signe de la transversalité. Très tôt reconnue aux Victoires de la Musique (en 2002 elle sera « Révélation soliste instrumentale » et en 2022 « Soliste de l’année »), elle n’a cessé depuis de multiplier les expériences les plus variées, conjuguant sa maîtrise instrumentale au verbe, collaborant aussi bien avec Laurent Terzieff qu’avec Jean Piat ou Robin Renucci (elle était Agafia, l’épouse d’Oblomov dans la pièce de Gontcharov pour Les Tréteaux de France) dans des spectacles et des projets mémoriels où elle concilie la musique au théâtre dans différentes représentations scéniques. Adoubée par Henri Dutilleux qui la considérait comme l’une des interprètes majeures de son concerto pour violoncelle Tout un monde lointain ou des Trois strophes sur le nom de Sacher, professeure de musique de chambre en 2008, depuis 2022 première femme à enseigner le violoncelle au CNSMD de Paris, et directrice artistique du Festival de violoncelle de Beauvais jusqu’en 2024, cette artiste généreuse préfère l’art de la transmission aux effets de manche : « L’enseignement constitue une part importante de ma vie avec pour souci de partager avec mes étudiants, au-delà de la considération purement technique, la liberté de ton comme me l’avait appris à Lyon mon maître Jean Deplace. L’échange que j’entretiens avec eux doit tenir compte de la personnalité de chacun et surtout favoriser leur insertion professionnelle, car après les études au Conservatoire ils se sentent souvent démunis. » Captivée par le répertoire chambriste, Emmanuelle vient de fêter les vingt-cinq ans du duo constitué avec le pianiste Pascal Amoyel (son alter ego à la scène comme à la vie), lui-même sensible à toutes les formes d’expression. Elle a enregistré en sa compagnie un CD des deux sonates de Brahms et des transcriptions de lieder (chez Harmonia Mundi et Choc de Classica) ; un partage amoureux qu’elle définit elle-même comme le bonheur absolu.

En hommage à un grand témoin

Cette même ferveur a conduit Emmanuelle Bertrand sur la route de son prédécesseur Maurice Maréchal (1892-1964), illustre représentant de l’Ecole française de violoncelle, engagé à vingt-et-un ans dans l’horreur de la Grande Guerre. Seule la musique pouvait constituer le moyen de s’évader d’un univers où la tourmente le disputait à la peur quotidienne de la mort. Emmanuelle s’est emparée de son personnage hors du commun pour réaliser ce concert-lecture où elle défend la mémoire de l’un des plus grands musiciens français : « Je reprends un spectacle créé en 2011 dans lequel je tenais la partie instrumentale, tandis que les textes étaient lus par un acteur. Cette fois-ci je serai non seulement la violoncelliste, mais dirai aussi des extraits des carnets de guerre de Maurice Maréchal et l’histoire de son violoncelle le "Poilu". Sa correspondance est d’une particulière acuité tant sur la vie d’un soldat dans les tranchées s’adressant à ses intimes ou à d’autres artistes de l’époque. Il fallait bien sûr faire un choix sur les 547 lettres non éditées et éparpillées que j’ai depuis achetées lors d’une vente aux enchères du fonds Durosoir. J’en ai fait don à la BNF avec des programmes de concerts, des objets personnels, ses décorations, la légion d’honneur… Le violoncelle de Maurice Maréchal, visible désormais au Musée de la Musique, a été taillé en 1915 dans des caisses de munitions allemandes, et sa sonorité rappelle celle d’un instrument ancien par la douceur de son chant miraculeusement reproduit. Toutefois, dans son état actuel, il est difficilement jouable en concert ; le luthier Jean-Louis Prochasson en a fait en 2011 une copie à l’identique. À La Seine Musicale, je conterai l’histoire de ce « violoncelle de guerre » si original et insolite, et jouerai des œuvres pour violoncelle seul de différents compositeurs afin de rendre hommage à un homme exceptionnel. » En une heure quinze sans entracte, le public pourra ainsi se remémorer l’histoire personnelle de Maurice Maréchal confronté à la grande Histoire des années 14-18 par le truchement de la voix et du jeu inspiré d’Emmanuelle Bertrand.

Michel Le Naour - publié le 31/01/25

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