Portraits d'artistes - Cordes

Lucile Boulanger le sacre de la viole de gambe

Lucile Boulanger Partager sur facebook

Récemment récompensée aux Victoires de la Musique, la violiste fait rayonner les répertoires anciens et contemporains par sa sensibilité unique, cherchant à libérer la viole de gambe du carcan esthétique qu’on lui impose trop souvent.

Il suffit d’écouter quelques instants seulement Lucile Boulanger pour être ému du naturel évident et de la sincérité totale qu’elle met dans son jeu. Fruit d’un long et patient travail, ce sommet artistique qu’elle a atteint est aussi le développement d’une histoire qui remonte à sa plus tendre enfance : « Pour moi, la viole était un choix qui coulait de source car je viens d’une famille très mélomane où la musique ancienne jouait un rôle de premier plan. C’était le répertoire qu’on écoutait le plus à la maison, et quand j’étais enfant le clavecin me semblait presque plus familier que le piano. J’ai découvert le violoncelle et la musique romantique plus tard. » Et si l’on pourrait penser que ce choix de premier instrument chez un enfant est chose rare, la musicienne nuance tout de suite cette idée : « Dans les années 1990 quand j’ai commencé c’était effectivement plutôt rare mais aujourd’hui les choses ont beaucoup changé. La viole de gambe est enseignée dans une centaine de classes en France, les enfants peuvent y avoir facilement accès. Souvent ce sont eux qui choisissent cet instrument et qui le font découvrir à leurs parents. » Tout au long de son parcours, Lucile Boulanger a pu être guidée par de grands modèles : « Christine Plubeau a été un immense coup de cœur. Elle a été au centre de mes dix premières années d’apprentissage. Parmi les personnalités qui m’ont marquée, je dois aussi parler de Wieland Kuijken, dont la générosité me touche beaucoup, et de Christophe Coin, qui a un peu révolutionné ma manière d’appréhender la viole de gambe. »

Consécration

Déjà nommée dans la catégorie « Soliste instrumental » en 2023, l’interprète a été récompensée cette année dans la même catégorie. Elle est ainsi la première violiste à remporter ce trophée depuis Jordi Savall en 1993 : « J’ai encore du mal à réaliser ! J’avais déjà le privilège d’avoir une belle reconnaissance dans le milieu professionnel mais cette Victoire m’apporte une sorte d’apaisement. Je me sens galvanisée mais il y a aussi une pression supplémentaire car je dois être à la hauteur des attentes. J’ai l’impression que les gens m’écoutent un peu plus attentivement, et c’est le mieux que puisse espérer un musicien. Je trouve aussi que j’ai de la chance, car même si cette réussite est le résultat de mon travail, beaucoup de musiciens méritent cette reconnaissance sans pouvoir l’obtenir. » Lucile Boulanger défend un répertoire bien plus vaste qu’on pourrait l’imaginer : « On est trompé par une illusion d’optique : plus un répertoire est loin dans le temps plus il parait petit. En réalité, le nôtre est aussi vaste que celui des pianistes. On a aussi la chance de jouer sur plein d'instruments différents, accordés différemment, avec des tessitures différentes. En fait je me sens beaucoup moins spécialisée qu’un violoncelliste moderne. D’autre part la musique contemporaine se développe de plus en plus pour les instruments baroques, et on peut aussi tisser des liens avec la musique du monde ou même la musique électro. J’aime cette variété. Mais si je ne devais jouer qu’un compositeur, ce serait Bach, car il synthétise en quelque sorte tous les avancements de la musique ancienne. » La diversité de répertoires que cultive la gambiste va de pair avec une diversité d’approches : « J’essaie de continuer à faire un peu d'orchestre, j’accompagne des chanteurs, des danseurs, je fais du solo… Je ne veux pas me laisser enfermer dans une boîte qui serait un peu trop petite. »

Nouvelles perspectives

Nourrie par des saisons plus riches les unes que les autres, Lucile Boulanger attend en outre certains projets avec impatience : « Je suis en train de réunir une équipe autour du compositeur Christopher Simpson pour un projet d’enregistrement. J’aime beaucoup jouer en consort et ici ce sera un consort de violistes de ma génération qui sont tous formidables. J’ai également un projet de consort songs avec ma chère Lucile Richardot, qui est aussi bien une vraie « showgirl » qu’une chambriste passionnée. Et puis je vais enregistrer bientôt une fantaisie pour viole et modulaire composée par Benoît Menut et Olivier Delevingne. » En regardant un peu plus loin à l’horizon, d’autres envies germent aussi dans le cœur de la musicienne : « Je n’ai pas encore joué beaucoup de musique concertante. Il existe peu de concertos pour viole et il peut être difficile de trouver un équilibre afin que l’orchestre ne couvre pas l’instrument. J’aimerais avancer dans cette direction, et pourquoi pas faire écrire un concerto. Mais en réalité mes plus grands rêves sont intérieurs, ils n’ont rien de spectaculaire. Ils me concernent moi dans mon rapport à la viole, ils sont liés aux petites choses que je peux débloquer, à toutes les nouvelles portes qui s’ouvrent en moi pour être toujours une meilleure musicienne. » En avril, l’artiste se produit deux fois en région parisienne. Au Théâtre Paul Éluard de Bezons, elle donnera le spectacle « Phenix » avec la Compagnie Käfig, sous la direction artistique de Mourad Merzouki, qui enchevêtre musique et danse. A la Salle Cortot, elle collabore avec les Musiciens de Saint-Julien pour un programme Marin Marais plein de promesses : « Aux racines de la musique française, il y a d’abord la danse, l’élégance et le bon goût. C’est facile à dire bien sûr, mais je pense qu’on les obtient en s’appuyant sur un sens de la mesure et de la nuance. L’important est de ne jamais tomber dans les extrêmes car cette musique renferme une sorte de pudeur. Elle demande beaucoup de précision aussi et une vraie virtuosité qui se cache derrière une apparente simplicité. En tant que violiste, on connait très bien Marin Marais, mais pour ce concert nous jouons des pièces pour flûte presque inédites, ce qui change la perspective. On redécouvre le compositeur autrement, avec la beauté de mélodies simples, ce qui est très agréable. Nous avons déjà enregistré ce programme et l’album vient de paraitre en mars. » Une pépite à se procurer absolument !

 

Elise Guignard - publié le 01/04/25

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