Portraits d'artistes - Cordes

Sheku Kanneh-Mason nouvelle vague

Sheku Kanneh-Mason
Contrairement à d’autres virtuoses, Sheku Kanneh-Mason reçoit d’abord une formation musicale généraliste à la Trinity School de Nottingham, sa ville natale. Il se perfectionne ensuite à la Royal Academy of Music de Londres.
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Maintenant âgé de 25 ans, Sheku Kanneh-Mason semble fermement installé dans le sérail des violoncellistes qui comptent. En ce mois de mai, il donne rendez-vous à ses fidèles dans un opulent programme de sonates, accompagné par sa sœur, Isata Kanneh-Mason, dont l'étoile est également ascendante.

Tout a été dit sur l'extraordinaire famille des Kanneh-Mason, forte de sept musiciens tous accomplis. Outre Sheku et Isata, citons Braimah au violon, Konya et Aminata aussi bien volonistes que pianistes, ainsi que Jeneba et Mariatu qui manient le violoncelle et le piano. Qu'on se le dise, cette fratrie incroyable n'a pas fini de faire parler d'elle. Néanmoins, Sheku et Isata occupent pour le moment le devant de la scène et notre violoncelliste ne tarit pas d'éloge s'agissant d'Isata : « Son jeu possède une concentration, une précision et un soin du détail incroyables, sans parler de la beauté, de la clarté du son. Pour toutes ces raisons, j'aime travailler avec elle, elle me permet tellement de liberté et de souplesse. » Avec sa douzaine de concerts à travers l'Europe, la vaste tournée de mai relève du tour de force, les calendriers de nos deux vedettes étant copieusement remplis : « Les choses ne sont pas simples pour Isata, qui doit aussi préparer son répertoire de soliste ou de concertos. Nous avons cependant la chance d'avoir le même management, ce qui facilite la coordination de nos agendas. Nous aimons faire deux grandes tournées chaque année, tout simplement parce que nous aimons jouer ensemble pour explorer notre répertoire. Il y a tant de merveilleuses combinaisons, tant de sonates incroyables. »

Trois milliards de spectateurs pour Fauré

Avec des pages de Mendelssohn, Beethoven, Fauré et Chopin, Isata et Sheku abordent une musique aux exigences impitoyables : « Nous avons choisi ces quatre sonates simplement parce que nous avions envie de les jouer. Chacune d'entre elles est merveilleuse à sa manière et leur combinaison offre un magnifique mélange de caractères et de textures. Elles présentent toutes des difficultés spécifiques. Chopin, par exemple, est très exigeant pour le piano, parce qu'il était lui-même un virtuose, et confie une grande partie du matériel mélodique au violoncelle. Beethoven, pour sa part, constitue un grand défi, parce qu'il faut d'emblée se montrer extrêmement précis dans l'articulation. Quant à Mendelssohn, maints éléments – la structure, le développement harmonique de la pièce – le rattachent au classicisme mais certaines lignes mélodiques laissent une grande latitude pour une approche plus romantique de sa musique. Et Fauré ! J'aime tellement sa musique, son côté si tendre et si extatique, avec ses longues phrases. » Ce fut en interprétant Après un rêve du maître français, lors du mariage en 2019 du Prince Harry et de Meghan Markle, cérémonie suivie par presque trois milliards de téléspectateurs, que Sheku attira l'attention du grand public. Notre virtuose n'en a pas, pour autant, perdu une tête manifestement bien faite, avec une prudence évidente quant aux choix musicaux, tout en préservant une curiosité à louer sans réserve : « J'essaie de m'astreindre à un ou deux nouveaux concertos par an, tout en continuant à jouer ceux que j'ai déjà inscrits à mon répertoire, comme Elgar, que je joue beaucoup. Cette saison, j'ai abordé – et beaucoup joué – Schelomo de Bloch et le concerto de Weinberg. N'oublions pas aussi les deux concertos de Chostakovitch. »

La diversité dans la musique classique

Le « grand répertoire » avec les formations symphoniques et les chefs les plus prestigieux constitue donc le pain quotidien de Sheku Kanneh-Mason dont la sidérante maîtrise instrumentale et l'instinct musical infaillible ont attiré l'attention musicale bien avant le mariage princier. En 2016, ce natif de Nottingham reçoit le BBC Young Musician Award, devenant le premier musicien noir à décrocher ce titre envié. Cette distinction marque le début d'une ascension fulgurante, tout en soulignant le manque flagrant de diversité dans le monde de la musique classique. Dès ce moment, Sheku Kanneh-Mason a fait sienne cette cause avec une constance n'ayant d'égale que la lucidité avec laquelle il évoque le sujet. La situation a-t-elle changé depuis 2016 ? Oui, mais un changement de mentalité va exiger une immense persévérance : « Il y a une prise de conscience réelle face à la nécessité de changer la situation. Le défi reste immense parce qu'on ne peut pas résoudre ce problème du jour au lendemain. Tout commence par la question de l'éducation musicale. » Avec l'irruption sur la scène musicale d'une Pretty Yende ou d'une Golda Schultz, toutes deux originaires d'Afrique du sud, le monde de la voix semble progresser plus rapidement que celui des instrumentistes : « Il y a peut-être la question de l'accès à l'éducation. La voix peut se développer à un âge plus tardif. Pour le piano ou le violon, il faut étudier intensément dès le plus jeune âge. L'éducation est une priorité absolue, il s'agit de notre futur. »

 

Yutha Tep

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