Portraits d'artistes - Voix

Katarina Livljanić La reine de Troie

Katarina Livljanić Partager sur facebook

À la fois musicologue et chanteuse, Katarina Livljanić dirige depuis de nombreuses années l’ensemble Dialogos qui se consacre à redonner vie aux répertoires anciens. Elle nous présente ici leur spectacle « Hécube, reine de Troie », repris cet automne.

Pour Katarina Livljanić, Dialogos est un véritable projet de vie, né dans son enfance : « J’ai d’abord fondé l’ensemble dans ma tête, quand j’avais à peine 10 ans. J’avais ce rêve de faire de la musique médiévale, c’était une véritable vocation. Mes amis allaient à des concerts de rock et moi je m’intéressais au Moyen-Âge : j’étais un drôle d’oiseau ! J’ai pu concrétiser mon projet pendant mes études de musique à Paris. » L’ensemble, qui est aujourd’hui dans sa 27e année d’existence, se démarque par ses projets très personnels comme le spectacle Hécube : « Ce projet est né de ma collaboration avec la metteuse en scène Sandra Hrzic. Elle connaissait très bien le texte théâtral d’Hécube pour l’avoir joué elle-même quand elle était au conservatoire d’art dramatique. Il s’agit d’une tragédie d’Euripide qui se déroule à la fin de la guerre de Troie et qui fut traduite dans les autres langues européennes, notamment en italien au xvie siècle puis peu de temps après en Croate dans la ville de Dubrovnik. J’ai pris ces deux versions et je les ai croisées pour faire un spectacle qui est en deux langues. Les Troyens et les Grecs parlent les langues différentes pour souligner le problème de la non-communication qui est selon moi le fondement de toutes les guerres. » Katarina Livljanić s’est ainsi lancée dans l’élaboration d’une tragédie grecque accompagnée de musique, qui découle d’un passionnant travail de reconstruction : « Nous avons travaillé en laboratoire avec toute l’équipe, en creusant deux pistes différentes. D’un côté nous nous sommes penchés sur la musique « savante » de la Venise du xvie siècle, souvent imitée par les compositeurs de Dubrovnik qui souhaitaient prouver la sophistication de leur propre culture. Nous avons notamment reconstitué la tradition d’adapter les polyphonies à quatre voix pour un chanteur solo s’accompagnant au luth ou à la viole, ce qui se faisait beaucoup dans les pièces de théâtre. Notre autre axe de travail a été la musique traditionnelle de Dubrovnik, une musique de tradition orale très vivante dans le monde paysan. » De ces belles recherches a abouti une partition en partie fixée mais laissant beaucoup de place à l’improvisation : « Quand on interprète des musiques anciennes, le lien étroit avec le texte est merveilleux. La frontière entre parler et chanter doit rester floue, ce qui demande une flexibilité de la partition. » Cette partition nous conte l’histoire d’une reine perdant ses enfants dans une guerre absurde et décidant de se venger. Un rôle en or pour la chanteuse : « J’ai beaucoup réfléchi à ma manière de l’interpréter. Lors de la création, je l’incarnais comme un personnage un peu fragile, une sorte de pleureuse. Mais malgré la douleur qui la ravage, Hécube a beaucoup de dignité et de force. Je l’interprète avec plus de retenue maintenant. Je verrai comment le rôle évoluera encore par la suite, c’est une matière vivante. » D’autres projets verront le jour bientôt, notamment un nouvel album autour des sectes hérétiques du Moyen-Âge. On pourra aussi réécouter en ligne des conférences que Katarina Livljanić a donné cet été pendant le festival d’Utrecht dont elle était co-curatrice invitée, réfléchissant à la manière dont le XXe siècle a revu le monde ancien. Édifiant.

 

Élise Guignard

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