Händel Orlando
Créé en 1733 alors que l’opera seria attirait de moins en moins le public anglais, Orlando fut pourtant l’un des chefs-d’œuvre de Händel. Abordant le thème de la folie engendrée par la passion amoureuse, il s’appuie sur le célèbre poème épique de l’Arioste.
Créée en 1719 avec l’aide du roi Georges Ier, la Royal Academy of Music installée au King’s Theatre à Haymarket avait fait de Londres l’un des principaux centres européens pour la musique lyrique. L’opéra italien y faisait sensation, sous l’égide de Händel et grâce à la notoriété des chanteurs que le compositeur avait réussi à réunir au sein de la structure, comme le castrat Senesino, la basse Giuseppe Maria Boschi, ou encore la soprano Margherita Durastanti. Mais ce recrutement de vedettes avait engendré un poids financier important. Cumulé à des conflits politiques et des mésententes entre artistes, il entraina la chute de la première Royal Academy, qui dut fermer ses portes en 1729. Une seconde vit le jour sans connaitre le renouveau espéré : le désintérêt progressif du public anglais pour l’opera seria (qui s’était fait sentir dès 1728 avec le triomphe de The Beggar’s opera de John Gay et Johann Christoph Pepusch) et la concurrence d’une troupe rivale, l’Opera of the Nobility dirigé par Porpora, achevèrent d’écraser le projet en 1734. Le Nobility, qui avait récupéré quelques vedettes de l’ancienne Royal Academy, parvint à mettre la main sur le King’s Theater de Haymarket. Sans baisser les bras pour autant, Händel forma une nouvelle troupe et déménagea au Covent Garden qui avait ouvert en 1732.
Malgré tous ces tumultes, le compositeur créa dans la décennie 1730 trois de ses plus grands chefs-d’œuvre seria : Orlando en 1733 (dernière œuvre de la seconde Royal Academy au King’s Theater), puis Ariodante et Alcina en 1735, avant de se tourner définitivement vers l’oratorio anglais à la fermeture de la troisième académie en 1737.
Le chef-d’œuvre de l’Arioste
Ces trois opéras sont tous inspirés de la même œuvre littéraire : le poème épique italien Orlando furioso de l’Arioste. Il s’agit de l’un des ouvrages les plus célèbres de la Renaissance, qui connut plus de 150 éditions rien qu’au XVIe siècle où il fut écrit, séduisant aussi bien l’élite culturelle que la population moins instruite. L’intrigue, sur fond d’affrontements entre chrétiens et sarrasins au temps de Charlemagne, superpose aventures chevaleresques et amoureuses dans un univers où règne la magie. Les nombreux personnages s’entremêlent au gré de leurs intérêts et passions, avec au centre le paladin Orlando qui sombre dans la folie en se voyant rejeté par celle qu’il aime, Angélique. Le protagoniste existait déjà dans la littérature européenne du Moyen-Âge, dans la Chanson de Roland par exemple, où il était un valeureux chevalier au code d’honneur irréprochable, mourant suite à la trahison d’un autre guerrier. Dans l’ouvrage de l’Arioste, le personnage est plus ambivalent, la jalousie venant « empoisonner » son âme de chevalier. Tout le milieu artistique européen fut influencé par l’inventivité et les thèmes intemporels du poème épique, notamment les peintres, les écrivains mais aussi les compositeurs (outre Händel, on pense bien sûr à l’Orlando furioso de Vivaldi).
Repousser les limites de l’opera seria
L’Orlando de Händel prend comme base le poème de Carlo Capeci L’Orlando, overo La gelosa pazzia qui fut mis en musique par de multiples compositeurs, dont Scarlatti. Le thème de la chevalerie et les exploits guerriers n’y occupent plus aucune place, s’effaçant devant les intrigues amoureuses et l’évolution psychologique du protagoniste. L’opéra est construit en trois actes, autour de cinq personnages seulement, car la forme seria réclamait une unité d’action : Angelica et Medoro (qui se vouent un amour réciproque), Dorinda (qui aime Medoro), Orlando (qui aime Angelica) et le mage Zarastro. Ce dernier personnage est un ajout de Händel aux multiples avantages : il incarne la voix de la raison face aux autres personnages emmêlés dans leurs problématiques, et apporte la dimension magique qui permettait des mises en scène grandioses avec moults effets scéniques. Pour sa part, Dorinda n’existait pas dans le poème de l’Arioste. Bergère candide, d’abord déçue par son amour non partagé pour Medoro, elle incarne la sagesse des gens simples par les leçons qu’elle tire de son expérience.
Respectant les autres codes de la forme seria, l’opéra se tient à distance du registre comique et se conclut par un dénouement moral : Zoroastro sauve Angelica de la fureur meurtrière d’Orlando et fait boire à celui-ci un philtre qui le ramène à la raison. Tout est pardonné et tout le monde se réconcilie dans une fête finale où les personnages méditent sur les différentes facettes de l’amour. En revanche, Händel s’affranchit des traditions dans les choix musicaux : si la construction d’Orlando est essentiellement basée sur l’alternance récitatifs et arias da capo coutumière, la partition propose aussi une belle richesse de formes, avec de nombreux récits accompagnés, des ariosos et des ensembles.
Elise Guignard - publié le 02/01/25