Marina Chiche un violon engagé
Comme soliste, chambriste ou même chroniqueuse à la radio, Marina Chiche captive par ses multiples facettes. Ce mois-ci, on peut l’entendre au musée d’Orsay dans un programme en duo qui lui tient à cœur, autour de Fauré et Viardot.
ttirant depuis longtemps l’attention du milieu musical pour sa personnalité artistique riche et sa polyvalence, la violoniste Marina Chiche a commencé l’année 2024 avec panache. En janvier, elle a co-conçu avec l’orchestre de l’Opéra de Rouen-Normandie la programmation d’un gala intitulé « Musiciennes de légende », d’après le titre du livre qu’elle a publié en 2021 aux éditions First/Radio France : « Ce programme mettait à l’honneur des grandes compositrices d’hier et d’aujourd’hui. Il était pensé comme un florilège de pièces permettant d’explorer une diversité d’esthétiques et d’aborder les questions du matrimoine et de la représentation des femmes dans l’histoire. J'y présentais chaque œuvre et je jouais aussi en soliste dans le Double-Concerto pour violon et cor d’Ethel Smyth. » Début février elle était au Collège des Bernardins : « J’ai donné un récital solo à la Chandeleur dans ce lieu magique, pour la troisième année consécutive. Cette année, j'ai conçu le programme autour de la question du palimpseste, ces manuscrits qui laissent entrevoir dessous une écriture antérieure. Je suis fascinée par le concept de filiation entre les œuvres et de ce qu'on appelle l’intertextualité. »
Contre l’invisibilisation
De toute évidence, Marina Chiche fait partie de ceux qui aiment s’aventurer sur de nouveaux territoires : « Bien entendu, dans mes programmes de concert ces dernières années, on trouve largement les œuvres incontournables qui constituent le répertoire de violon, avec notamment tous les grands concertos que je ne cesse de revisiter. Mais depuis les recherches que j'ai menées lors de la conception des émissions à France Musique, qui ont abouti à mon livre, il me tient à cœur d’intégrer des œuvres de compositrices ou de compositeurs marginalisés. Ce sont des questions qui m'occupent beaucoup. » Au Musée d’Orsay, la violoniste se produira aux côtés du pianiste Jean-Frédéric Neuburger. Le programme, qui met en regard Gabriel Fauré et Pauline Viardot, est en lien avec l’exposition « Paris 1874, inventer l'impressionnisme » : « La Sonate n° 1 pour violon et piano de Fauré date de 1875. Comme Fauré était éperdumment amoureux de la fille de Pauline Viardot à ce moment-là et que l'œuvre est dédiée à Paul Viardot, son fils, j'ai tout de suite pensé à cette compositrice par association d’idées. Sa Sonatine pour violon et piano date d'ailleurs de 1873 ! J’adore poser des constellations de musiciens en toile de fond de mes programmes. Cela permet de raconter une histoire et de faire vivre une époque. Le Musée d’Orsay est l’écrin parfait pour cela. »
Défendre la musique des compositrices et donc celle de Pauline Viardot est également un enjeu important pour Marina Chiche : « Elle est l’une des « musiciennes de légende » que j’ai fait figurer dans mon livre. Ce fut une personnalité très marquante du monde de la musique. Elle a embrassé une carrière de cantatrice à la suite du décès prématuré de sa sœur la Malibran, tout en composant et en tenant salon dans plusieurs pays. Tout le monde musical la respectait incroyablement. Ce genre de parcours fait prendre la mesure de l'invisibilisation qui a eu lieu dans l'écriture de l'histoire de la musique vis-à-vis des femmes. Pauline Viardot devrait être célébrée et connue de tous. » Au-delà de Pauline Viardot, la violoniste reconnait avoir une affinité particulière avec la musique française : « Après Paris, j’ai étudié à l'étranger, notamment à Vienne, à Munich et à Budapest. J'ai habité en Asie, à Berlin, et j’ai passé du temps aux États-Unis… J'ai donc une culture très internationale, mais malgré tout, j’ai un lien particulier avec la musique française. Je me suis rendu compte qu'il y avait eu une transmission, que j'avais reçu quelque chose au sujet de ce répertoire : une espèce d'évidence dans la recherche de certaines palettes sonores par exemple. » Le concept d’un concert rattaché au cadre d’une exposition semble par ailleurs taillé sur mesure pour la musicienne : « Croiser la musique et les autres arts fait complètement partie de mon ADN, et c’est lié à ma formation. En parallèle du violon, j’ai toujours étudié d’autres domaines, comme la littérature germanique ou la musicologie. J'ai notamment suivi la classe d'Esthétique de Christian Accaoui au Conservatoire Supérieur de Paris. Cette discipline issue de la philosophie, qui s'inscrit à l'intersection de l'analyse musicale, de la sociologie ou de l’histoire, fut une révélation. C'est un peu devenu pour moi une seconde nature de penser l’interdisciplinarité. Cette approche peut enrichir l'expérience du public en convoquant des imaginaires croisés. » De prochains projets sont déjà en construction : « Je co-écris avec l'historienne de l'art Hortense Belhôte un spectacle musical où je serai seule en scène, qui va être créé au Festival de Saint-Denis. J’aime réinventer des formats de concerts. Je prends presque systématiquement la parole sur scène, un peu en résonance avec mes chroniques sur France Inter. Il y aura aussi des cycles de conférences autour de la musique où je fais dialoguer des personnalités de différents domaines. C'est une forme d'engagement politique. »
Élise Guignard