Stéphane Fuget au cœur du Seicento

À la tête de l’ensemble Les Épopées, le chef et claveciniste Stéphane Fuget défend une musique vivante, libre, profondément ancrée dans la parole. À l’occasion de sa première venue au Festival de La Chaise-Dieu, il dirige une œuvre emblématique de l’histoire de la musique : L’Orfeo de Monteverdi.
Avant d’embrasser la musique ancienne qui est aujourd’hui au cœur de son travail, Stéphane Fuget s’est d’abord formé au piano, dans les règles strictes de l’enseignement académique : « J’ai été formé comme pianiste, avec toute la rigueur que cela implique : la partition comme référence sacrée, un cadre très normé. Mais très tôt, ce carcan m’a pesé. J’aimais improviser, paraphraser, inventer. Et c’est dans la musique ancienne que j’ai trouvé une vraie respiration : un espace d’improvisation permanent, que ce soit dans le continuo, les ornements ou les reprises ». Cette liberté, qui guide en profondeur ses interprétations, le musicien l’a également cultivée au contact d’autres répertoires : « J’ai eu une révélation en écoutant Nikolaus Harnoncourt diriger les opéras de Mozart à Vienne. Il demandait aux chanteurs de parler leurs récitatifs au lieu de chanter strictement les notes. J’étais fasciné. Les enregistrements du début du XXe siècle m’ont aussi beaucoup nourri, avec des interprètes comme Alfred Cortot ou Sergueï Rachmaninov. Chez eux, le rubato et la souplesse rythmique donnent vie à la musique bien au-delà de la simple lecture de la partition. » Porté par une passion vibrante, le chef a fondé l’ensemble Les Épopées en 2018. L’ensemble a rapidement été invité sur les plus grandes scènes, notamment le Théâtre des Champs-Elysées, le Theater an der Wien (Vienne), la Philharmonie de Berlin, ou encore l’Opéra Royal de Versailles où il a présenté et enregistré les trois opéras de Monteverdi : « Le Seicento italien offre une liberté expressive inégalée : ici, tout est pensé depuis le théâtre et la parole. Il ne s’agit pas de suivre des règles d’écriture rigides, mais de se laisser guider par les inflexions du texte. Cette époque revendique une musique qui épouse les élans du comédien. Et dans cette esthétique, je me sens chez moi. L’italien, qui est une langue familière pour moi, renforce encore ce sentiment de proximité. »
Diriger L'Orfeo
Cet été, le chef aura l’occasion de reprendre L’Orfeo, souvent considéré comme l’œuvre fondatrice de l’opéra : « C’est un joyau. On y trouve à la fois la maîtrise des formes anciennes et l’invention d’un nouveau langage dramatique. L’importance de l’orchestre et sa richesse de couleurs me touchent beaucoup aussi. Ayant grandi en écoutant les grands romantiques allemands – Beethoven, Brahms, Mahler – je suis très sensible à cette densité sonore. L’Orfeo, c’est aussi cela : un foisonnement orchestral au service du récit. » Et pour Stéphane Fuget, la ligne artistique est claire : « Ce que je recherche, c’est cette zone intermédiaire entre parler et chanter, ce fameux « recitar cantando ». Cela suppose une grande finesse dans l’articulation, le phrasé, la longueur des syllabes. Toute la distribution a été choisie autour de ce critère, avec des artistes capables de faire vivre le texte dans la musique. Juan Sancho, notre Orfeo, incarne merveilleusement cette esthétique : il sait chanter en parlant, ou parler en chantant. Nous avons par ailleurs un orchestre fourni, avec notamment trois basses de viole qui réalisent les accords, pour obtenir une belle rutilance sonore. » Plusieurs dates sont prévues cet été pour cet Orfeo, dont une à l’Abbaye de Lessay et une autre au Festival d'Arques-la-Bataille. Mais ce sera surtout la première fois qu’on aura l’occasion d’entendre Les Épopées au Festival de La Chaise-Dieu : « J’en suis très heureux : le lieu est exceptionnel, aussi bien architecturalement qu’acoustiquement. Le festival, sous l’impulsion de Boris Blanco, est en plein renouveau, et nous avons déjà commencé à discuter d’autres projets. La collaboration avec Benoît Bénichou pour la mise en espace et en lumière ajoute aussi une dimension supplémentaire à cette aventure. » Les prochaines années verront les horizons s’élargir pour l’ensemble : « Nous allons continuer d’explorer le XVIIe siècle italien, avec notamment l’Euridice de Jacopo Peri. C’est une œuvre fondatrice, audacieuse, qui a ouvert la voie à une nouvelle manière de penser la musique, affranchie de la Renaissance. Mais je veux aussi ouvrir d’autres portes : nous allons travailler sur un Requiem de Mozart, et j’ai envie d’aborder aussi le XIXe siècle, en utilisant non seulement des instruments d’époque mais en s’intéressant aussi aux modes de jeu qui étaient utilisés. A l’époque, on ne jouait pas du tout comme aujourd’hui. Dans cette perspective, j’aimerais recréer le Requiem de Fauré dans sa version originelle. »
Elise Guignard - publié le 01/08/25