Portraits d'artistes - Cordes

Patricia Kopatchinskaja le violon enflammé

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S'il est une musicienne défiant toute classification, c'est bien Patricia Kopatchinskaja. Cette virtuose exceptionnelle bouscule génialement le monde du violon et, plus largement, le milieu de la musique classique, abordant crânement tous les répertoires. Rencontre.

Par le biais de Michaela Schlögl, elle-même élève du grand David Oïstrakh, Patricia Kopatchinskaja s'inscrit en partie dans l'illustre tradition russe. Là s'arrête cependant toute tentative de la cantonner dans une quelconque esthétique. Car, de son propre aveu, le développement d'une carrière pour le moins exceptionnelle semble aller de pair avec l'affirmation toujours plus aiguë d'une personnalité hors norme. De sa jeunesse, Patricia Kopatchinskaja conserve toutefois des affinités, comme c'est le cas avec Igor Stravinski, dont elle interprète au Théâtre des Champs-Élysées le Concerto pour violon : « Je ressens effectivement avec lui une certaine communauté d’esprit : il venait de la tradition russe et du monde chrétien, était ancré dans le folklore mais possédait un esprit avide d’expérimentation. Il brisait les règles pour inventer les siennes propres – pour à la fin les briser à leur tour. Il avait le sens du théâtre, du drame et de l’humour, tout en se gardant de tout pathos un peu vide ». On pourrait appliquer ces propos, mot pour mot, à l'art de Patricia Kopatchinskaja. Elle aime particulièrement ce concerto qu'elle a enregistré il y a dix ans : « Je ne pense pas que mon approche de ce concerto singulier ait beaucoup changé, ce qu’il me dit m’a semblé tout à fait clair dès le début. Chaque mouvement commence avec le même accord – telle une gifle dans la figure – mais développe ensuite, de nouvelles constructions. Nous avons ici un idiome fondamentalement et indiscutablement baroque, mais quelque peu perturbé par des irrégularités rythmiques et harmoniques – Prokofiev a qualifié ce Strasvinski néo-classique de « Bach, mais affligé par la petite vérole ». Il y a beaucoup de duos entre le violon et les autres instruments, il s’agit vraiment d’une musique de chambre similaire à celle des Concertos Brandebourgeois. De même, dans le dernier mouvement, un duo plein de joie entre le violon et le concertmaster me rappelle dans son esprit le Concerto pour deux violons de Bach ».

La musique, explosion de tous les sens

Quand Patricia Kopatchinskaja évoque l'époque baroque, on peut souligner « qu'elle sait de quoi elle parle » : « Dans ma jeunesse, ma « nourriture » principale était la musique postérieure au xxe siècle, et trop peu de musique ancienne. Une grande partie de la pratique et de l’enseignement baroque me semblait un peu poussiéreuse et académique. Mais, tombant par hasard sur le premier enregistrement Vivaldi de Cecilia Bartoli avec Il Giardino Armonico, j’ai entendu ce dont j'étais moi-même en quête depuis si longtemps : la musique peut et doit être parlée sans traduction, presque d’une manière animale, nous prenant directement aux tripes, dans sa forme essentielle, primordiale, quand sa sonorité et sa signification vous frappent au ventre et à l’âme comme une explosion de tous les sens, sans aucune interférence rationnelle. Depuis, mon souhait ardent de collaborer avec le légendaire Giardino Armonico s’est réalisé, puisque nous avons enregistré un disque intitulé What’s next Vivaldi ?, qui combine l’ancienne et la nouvelle musique italienne ». Cet enregistrement chez Alpha Classics constitue, osons le dire, un jalon capital dans la discographie vivaldienne.

Capable de transcender le concerto de Beethoven sous la direction de Philippe Herreweghe ou le deuxième concerto de Bartók avec Sakari Oramo, Patricia Kopatchinskaja peut tout, ose tout, avec un égal bonheur. La création occupe une place particulière dans ses saisons et elle l'évoque avec un enthousiasme contagieux : « Je me compare à un aspirateur ! Je prendrai et jouerai tout ce qui croise mon chemin, par exemple les nouveaux concertos pour violon d’Aureliano Cattaneo, Luca Francesconi, Martón Illés ou Liza Lim. La prochaine grande célébration fêtera les 100 ans de la naissance de György Ligeti puisque ce géant du siècle passé est né en 1923. J’ai hâte de jouer son concerto pour violon et de parler/chanter/jouer la Gepopo dans les Mysteries of the Macabre, deux œuvres incroyablement inventives et amusantes ». Elle-même compositrice de plein droit, Patricia Kopatchinskaja a notamment écrit Hortus animæ, concerto pour violon dont elle a assuré elle-même la première en 2014 avec la Camerata Bern.

Amusez-vous !

Ses capacités techniques incomparables lui auraient sans doute déroulé le tapis rouge d'une carrière "conventionnelle" mais rien n'est plus éloigné de son approche à la fois instinctive et réfléchie de la musique : « Le malentendu serait dévastateur si l'on jouait toutes les notes parfaitement en affirmant : voici l’œuvre. Ce n’est pas ça du tout ! L’art vivant, ce n’est pas jouer tout le temps la même musique de la même manière – ce serait plutôt un art mort. Un concert perd de sa pertinence dès qu’il exhibe encore et toujours son mausolée de reliques et de dogmes. En tant qu’auditrice, j’ai le désir d’être surprise, choquée, émue d’une façon personnelle et unique, de rafraîchir mes sens, de bouleverser mon esprit. Autrement, je ne sais pas si j’aurais envie d’assister à un concert, parce que je pourrais me contenter de lire la partition ou d'écouter mon disque préféré. Un concert est le miroir de nos pensées, de notre âme, nos désirs, inquiétudes, espoirs, nos rêves ou nos cauchemars. En tant que musicienne, je me sens bénie de rencontrer dans le public de plus en plus de personnes curieuses qui ne craignent pas d’explorer des sentiers inconnus ».
Son mot d'ordre pour ce public qui la galvanise tant s'avère limpide : « Amusez-vous ». À l'intention de ses consœurs et confrères : «  Amusez-vous ». Qu'on ne s'y trompe pas : si le sérieux de la préparation et la lecture scrupuleuse des partitions ne souffrent aucune discussion, ils ne sont que la condition indispensable de cette liberté artistique unique. Patricia Kopatchinskaja entend bien prendre du plaisir sur scène. Et nous en procurer.

 

Yutha Tep

Du Tac au Tac

  • Quel est votre son préféré ?

    Le silence.
  • Votre compositeur préféré ?

    La nature.
  • L’œuvre que vous auriez rêvé de créer ?

    La mienne !
  • Le compositeur que vous voudriez défendre ?

    Un bon compositeur.
  • Votre livre préféré ?

    Celui de la vie.
  • L’objet qui est toujours dans votre valise ?

    C’est un secret.
  • La personnalité qui vous inspire le plus au monde ?

    Tout m’inspire.
  • Si vous deviez vous réincarner ?

    Ce serait en moi-même.

3 CD

  • What’s next Vivaldi ? Vivaldi, concertos ; œuvres de Cattaneao, Francesconi, Stroppa, Bartók… Il Giardino Armonico, G. Antonini (flûte & direction)

    What’s next Vivaldi ? Vivaldi, concertos ; œuvres de Cattaneao, Francesconi, Stroppa, Bartók… Il Giardino Armonico, G. Antonini (flûte & direction)

    1 CD Alpha Classics
  • Igor Stravinski Concerto pour violon Prokofiev, Concerto pour violon n°2 London Philharmonic Orchestra,  V. Jurowski (direction).

    Igor Stravinski Concerto pour violon Prokofiev, Concerto pour violon n°2 London Philharmonic Orchestra, V. Jurowski (direction).

    1 CD Naïve
  • Sol & Pat Avec S. Gabetta (violoncelle). Leclair, Bach, Widmann, Coll, Ravel…

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    1 CD Alpha Classics

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