Dossiers Musicologiques - Romantique

Anton Dvořák Quatuors à cordes

Anton Dvořák
Surtout connu pour ses grandes fresques symphoniques, Anton Dvořák laisse un très important ensemble de musique de chambre dont il faut encore redécouvrir les joyaux.
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La popularité d'Anton Dvořák repose presque entièrement sur deux ouvrages : son opéra Rusalka et, surtout, sa Symphonie n° 9 « du Nouveau Monde ». Or, avant que sa carrière de compositeur atteigne les sommets que l'on connaît, il tirait ses revenus de ses talents d'altiste. Sans surprise, il laissa une musique de chambre considérable, dont les quatuors forment une part essentielle.

Dvořák reçut sa première formation musicale auprès d'un oncle dans la ville de Zlonice. En 1857, il commença l'étude de l'orgue à Prague mais ce fut en tant qu'altiste qu'il se trouva engagé, une fois son diplôme en poche, dans la Praguer Kapelle qui allait devenir la phalange officielle du Théâtre provisoire de Prague, futur Théâtre national (cette salle n'ouvrit cependant ses portes qu'en 1881). Le directeur du théâtre n'était autre que Bedrich Smetana, l'auteur de la célèbre La Moldau, considéré à juste titre comme le père de la musique tchèque, grâce à qui le jeune Anton eut la révélation d'une esthétique nationale. Outre Smetana, esprit d'une curiosité insatiable, Dvořák touchait à tout, avec une énergie étonnante, et une inventivité inépuisable, voire excessive, ce dont il avait parfaitement conscience. Véritable éponge musicale, il subit les influences de Liszt ou Wagner (sous la direction duquel il joua le Prélude de Tristan) au Théâtre provisoire), mais écrivait en se plaçant sous l'égide de Mozart et Schubert, sans oublier son aîné et mentor Johannes Brahms. En 1871, Dvořák démissionna de son poste d'altiste pour se consacrer à la composition. À cette date, il avait déjà à son actif ses Symphonies n° 1 et n° 2. En 1875, il se vit décerner le prestigieux Prix de l'État autrichien pour ses Symphonies n° 3 et n° 4 : du fait de l'assise financière ainsi acquise, Anton Dvořák pouvait définitivement vivre de ses partitions et sa popularité ne cessa de grandir pour faire de lui l'une des figures musicales les plus recherchées au monde.

La vaste expérience de musicien d'orchestre explique sans doute sa maîtrise des grandes formes mais aussi son amour du répertoire de chambre. Comme pour Beethoven, les quatuors à cordes, notamment, occupèrent Dvořák durant toute sa carrière, avec 14 partitions officiellement cataloguées – de nouveau, comme pour le Maître de Bonn. Le Quatuor n° 1 vit le jour en 1862 d'après le manuscrit que l'on a conservé ; l'élaboration de l'ultime Quatuor n° 14 survint le 26 mars 1895 à New York (sa célébrité valut au compositeur d'être nommé directeur du Conservatoire de cette ville en 1892) et la création en Bohème eut lieu le 21 janvier 1897.

Sensibilité slave et Nouveau Monde

Sans surprise, l'esthétique de ces quatuors évolua au gré des aléas de la carrière du compositeur. Après des essais un peu erratiques (les Quatuors n° 1 à 4 convoquent les mânes des aînés, mêlant allègrement Haydn, Schubert, Schumann ou même Beethoven, sans oublier l'influence de Wagner), on note cependant une manière de « sursaut national » qui se fit sentir dès les années 1870 (Quatuors n° 5 à 7) et s'épanouit pleinement dans les années 1880, avec les Quatuors n° 8 à 11. Toutefois, il faut toutefois éviter d'appréhender cet ensemble de compositions de manière monolithique car le Quatuor n° 11s'inscrit dans la tradition viennoise, à l'exception du finale, une skoćkná, danse typiquement slave. Dans les ouvrages de cette période, apparaissent des formes slaves telles que la dumka ou le furiant.
Le séjour de Dvořák aux États-Unis (1892 à 1895) apporta à son tour son lot d'innovations, le compositeur assimilant les mélodies du Nouveau Monde avec une aisance stupéfiante. Fasciné par les chants autochtones et des populations afro-américaines, mais aussi par les mélodies des immigrés irlandais et écossais, Dvořák s'empressa de les injecter dans ses compositions. Cette période enfanta deux de ses œuvres les plus célèbres, la Symphonie n° 9 « Du Nouveau Monde » bien sûr, mais aussi, pour la musique de chambre, le Quatuor n° 12 « Américain ». Le moins fameux Quatuor n° 13 (1895), dont la composition fut concomittante avec le n° 14, s'inscrit dans cet univers mais retrouve également la sensibilité slave.

À l'image de Mendelssohn, Dvořák souffrit longtemps de cette facilité lumineuse, les commentateurs lui reprochant un certain manque de profondeur, le jugeant à l'aulne des abîmes métaphysiques d'un Beethoven. Il faut davantage regarder du côté des méandres sublimes de Schubert, l'un des grands modèles du jeune Dvořák, sans toutefois le clair-obscur propre au Viennois. Le folklore de Dvořák est plus imaginé que littéral et irrigue une veine mélodique personnelle dont la spontanéité et la diversité étaient incomparables : ainsi était-il fait et on ne saurait l'accabler pour avoir su, jusqu'au bout, demeurer fidèle à lui-même. En outre, le compositeur prit garde, tout au long de ses périodes slave puis américaine à ne jamais tourner le dos à la grande tradition germanique, cherchant minutieusement à circonscrire ses élans nationaux dans des formes rigoureuses et une écriture savante – après tout, il bénéficiait de la bienveillance du grand Brahms.
L'importance de Dvořák dans l'histoire du quatuor à cordes s'impose de plus en plus clairement et la Biennale du Quatuor à cordes de la Philharmonie de Paris vient donner une impulsion supplémentaire à cette heureuse prise de conscience.

 

Yutha Tep

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