Benjamin Bernheim chante Hoffmann
Se coulant avec le même naturel dans les rôles de Faust, Roméo, Werther ou encore Des Grieux, Benjamin Bernheim est depuis quelques années le roi du répertoire lyrique romantique, et notamment français. À l’Opéra de Paris il incarne ce mois-ci son deuxième Hoffmann.
Ce n’est pourtant pas un parcours commun qui a mené le ténor franco-suisse au sommet où il trône désormais : « Dans ma famille c’était presque une obligation d’être musicien car j’avais des parents chanteurs. La musique était leur rêve mais en tant qu’enfant puis adolescent, j’observais que c’était un métier terriblement difficile : on est confronté sans cesse au rejet, il y a peu de places au soleil et on vit avec la peur de ne pas être écouté. En outre, la réussite dans ce milieu est très liée aux coïncidences de la vie, il faut que les planètes s’alignent. Certes le talent est nécessaire pour y arriver, mais des gens qui ont du talent il y en a beaucoup plus qu’on ne le pense ! J’aimais la musique car je trouvais qu’elle créait des émotions uniques, mais l’idée de ce métier m’effrayait. Je ne voulais pas de cela pour moi, j’en faisais même des nuits blanches d’angoisse. Je rêvais de faire des hautes études internationales et de devenir diplomate, mais la vie en a voulu autrement. Il se trouve qu’à 18 ans, je n’avais qu’une envie, c’était de quitter le giron familial pour faire ma vie. Le plus simple pour y arriver était de partir au conservatoire de Lausanne car j’avais un potentiel vocal que tout le monde remarquait. C’est ainsi que tout a commencé, plus par nécessité que par passion. Il m’a fallu du temps pour faire la paix avec mon métier. »
Une ascension spectaculaire
Une fois ses études commencées auprès de son professeur Gary Magby, Benjamin Bernheim a pourtant connu une ascension fulgurante. Ces cinq dernières années, il a enchainé les plus grands rôles représentatifs de sa tessiture de ténor lyrique aussi bien dans le répertoire français, italien que russe, remportant à chaque fois un immense succès : « Faust, Des Grieux, Roméo ou Werther sont vraiment le centre de mon répertoire, ce sont eux qui m’ont révélé à la presse et au public. Bien sûr je travaille pour être crédible dans tous les répertoires : je chante aussi avec beaucoup de bonheur les opéras italiens ou russes. Mais je considère personnellement que mon répertoire de prédilection est le répertoire français. C’est celui que je préfère défendre car c’est ma langue maternelle, mon pays, et je suis capable d’y développer des couleurs particulières. »
On aura l’occasion de le constater ce mois-ci puisque Benjamin Bernheim incarne pour la deuxième fois de sa carrière le rôle principal des Contes d’Hoffmann d’Offenbach : « Il y a 8 ou 9 ans, alors que je chantais un petit rôle dans cet opéra à Zurich, le ténor qui chantait le rôle-titre était tombé malade. Comme je rêvais de chanter Hoffmann un jour, j’avais proposé de faire quelques répétitions. Ce fut si convainquant qu’on me proposa réellement le rôle, mais il me semblait que c’était trop tôt. J’estimais que les probabilités que je me plante étaient grandes, et quand on se plante dans ce métier, il y a peu de chance que le train repasse. J’ai donc refusé, ce qui fut très difficile à assumer. Finalement, j’ai chanté mon premier Hoffmann en 2021 à l’Opéra de Hambourg. »
On ne peut que comprendre cette prudence face à un rôle si complexe que celui d’Hoffmann : « Ce rôle demande de la maturité car on doit défendre toutes les facettes du personnage. On a d’abord le Hoffmann alcoolique dépressif puis on le découvre sous trois autres angles, liés à trois relations amoureuses à différents moments de son existence : le Hoffmann d’Olympia est naïf, il apprend la vie et vit sa première désillusion. Ensuite il y a le Hoffmann amoureux de la chanteuse Antonia. Il veut vivre avec elle mais dans une vision très macho de pater familias. Si l’on schématise, il veut qu’elle renonce à son art pour faire des enfants et rester à la maison. Dans cet acte, je ne me vois pas comme Hoffmann mais comme Antonia : elle est l’artiste qu’on a tous en nous alors qu’Hoffmann représente la personne qui nous pousse à arrêter de croire à des rêves futiles. Puis dans l’acte III on a Giulietta, qui manipule un Hoffmann désabusé par l’amour et tombé dans la débauche. Le rôle requiert donc beaucoup d’énergie. Vocalement, il faut trouver une stratégie pour s’économiser à certains moments et ne pas se brûler les ailes. Je vais le chanter dans trois maisons d’opéra différentes dans l’année et demie qui vient, ce qui sera très intéressant car à chaque fois qu’on rencontre une nouvelle équipe artistique, c’est comme si l’on chaussait de nouvelles lunettes qui nous dévoilent le personnage différemment. »
Des rêves à réaliser
Bien qu’ayant eu la chance d’aborder tous les rôles qu’il souhaitait jusqu’ici, Benjamin Bernheim a encore des rêves à réaliser : « J’aimerais aborder Don Carlos, Simon Boccanegra et Le bal masqué de Verdi, mais aussi La Damnation de Faust de Berlioz et Carmen de Bizet. Ce sont pour moi des objectifs vocaux importants qui me feront passer à une autre étape de ma carrière. Tant qu’on a des rêves, on se bat pour rester au meilleur de ce qu’on peut faire. » Une belle route qu’il continue avec optimisme dans un milieu qu’il juge complexe : « Le monde de l’opéra traverse évidemment une période difficile à cause des réalités économiques et écologiques. C’est notamment un problème pour les jeunes chanteurs qui doivent évoluer dans un marché du travail qui se restreint de plus en plus aux grandes maisons d’opéra. Cela les pousse à être prêts très vite, ce qui est à la fois positif et dangereux car tout le monde n’avance pas au même rythme. Le conseil que je pourrais leur donner est de continuer à frapper aux portes et d’apprendre la résilience. Le monde a aussi beaucoup évolué récemment avec les réseaux sociaux, et on ne peut plus se permettre d’être uniquement chanteur, on est aussi une marque. Il est impératif d’utiliser ces réseaux comme des outils de travail, et j’étais très réticent à le faire au début. Il faut savoir se montrer avec positivisme, sans s’excuser de ce qu’on est. » Des conseils qui en intéresseront plus d’un !
Élise Guignard