Dossiers Musicologiques - XXe siècle

Prokofiev Symphonie n° 5

Prokofiev
Serge Prokofiev a toujours été porté par le désir continu de créer et la recherche de l'originalité de son langage musical.
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Des sept symphonies de Prokofiev, la cinquième est, avec la première, la plus populaire. Composée pendant la guerre, cette œuvre grandiose se veut un hymne à la gloire de la beauté de l'âme humaine, qui a d'emblée conquis le public.

Serge Prokofiev a composé sa Cinquième Symphonie pendant l'été 1944, quatorze ans après sa Quatrième. Entre temps, sa vie avait pris un tournant décisif : il était revenu définitivement en Union Soviétique.

Prokofiev avait quitté la Russie pour les États-Unis en 1918. Il n'était pas parti pour des raisons politiques, mais parce qu'il espérait trouver en Occident de meilleures conditions pour composer. Tout au long de sa vie, il a été guidé dans ses décisions par le désir permanent de créer. 

Au cours des quinze années ayant suivi son départ, il voyage beaucoup, entre les États-Unis et l'Europe. Parallèlement à la composition, il doit mener une carrière de concertiste et fait de nombreuses tournées. Il ne coupe jamais les ponts avec son pays : il y fait une tournée triomphale en 1927, avant de revenir s'y installer en 1933.

Sans doute a-t-il été sensible aux sirènes du régime soviétique qui lui offre les conditions lui permettant de se consacrer pleinement à la composition. De fait, son activité créatrice reste intense après son retour et son inspiration ne faiblit pas. Si son style s'est quelque peu assagi par rapport aux audaces des années 1910 et 1920, il produit plusieurs chefs-d'œuvre : le Second Concerto pour violon, le ballet Roméo et Juliette, le célèbre conte Pierre et le Loup, la musique pour le film d'Eisenstein Alexandre Nevski. En 1941 il se lance dans la composition de son opéra Guerre et Paix, d'après l'immense roman de Tolstoï. La guerre survenue, le compositeur se déplace beaucoup, sans cesser de créer : des sonates pour piano, le ballet Cendrillon et donc, la Cinquième Symphonie

Une œuvre grandiose

« Elle couronne en quelque sorte toute une grande période de mon travail. Je l'ai pensée comme une œuvre glorifiant l'âme humaine. Dans la Cinquième Symphonie, j'ai voulu chanter l'homme libre et heureux, sa force, sa générosité et la pureté de son âme. Je ne peux pas dire que j'ai choisi ce thème : il est né en moi et devait s'exprimer. »

La première audition a lieu le 13 janvier 1945 à Moscou, sous la direction du compositeur. Koussevitsky la dirige en novembre suivant devant le public américain à la tête de l'orchestre de Boston. Le succès est immédiat et considérable, tant à l'est qu'à l'ouest.

Dans le contexte de la guerre, Prokofiev a conçu une œuvre grandiose dans la grande forme classico-romantique. Il a voulu lui donner un caractère lumineux et optimiste, accessible au plus grand nombre, avec des lignes claires et des thèmes facilement identifiables. De douces mélodies confiées aux bois y dominent l'exposition des thèmes.

La symphonie comporte quatre mouvements.

Le premier, Andante, est construit dans la forme sonate. Il débute sur un motif lyrique de la flûte et du basson à l'octave, bientôt repris par les cordes. Un second thème, plus animé, est énoncé par la flûte et le hautbois, soutenus par un accompagnement de trémolos des cordes. Un troisième motif « animato » apparaît et conduit à une phase de développement de plus en plus dynamique, qui culmine avec la reprise fortissimo du thème principal. Le mouvement s'achève dans une coda électrisante, marquée par des roulements de tambour, le son des cymbales et l'écho de coups de gong.

Le deuxième mouvement, Scherzo avec trio, de forme ABCBA, renoue quelque peu avec la fougue démoniaque du jeune Prokofiev. La clarinette y attaque sur de violentes figures des violons un furieux thème « allegro marcato » ascendant aux brusques changements d'harmonie. Un second thème est ensuite exposé par les cordes en sourdine et dialogue avec le premier. Un habile glissement des cordes conduit à la partie centrale, introduite par un beau motif des clarinettes et hautbois. Le tempo s'anime progressivement, avant le retour frénétique de la cavalcade du début.

Contraste total avec le troisième mouvement, un Adagio empreint de nostalgie, qui s'ouvre sur une large mélodie des clarinettes accompagnées par les cordes jouant en arabesques. Le chant lyrique s'amplifie aux cordes, puis un deuxième thème plus heurté apparaît. L'atmosphère devient progressivement plus instable et tendue, jusqu'à un sommet d'intensité saisissant, avec des éclats de cuivres et de percussions et des glissandos descendants des cordes. La musique s'apaise et revient à la douceur et au calme serein du début.

Le finale, Allegro giocoso, commence par une lente introduction des violoncelles qui rappelle des éléments du premier thème de l'introduction Andante, puis se transforme en un rondo. Son thème principal enjoué (allegro giocoso) alterne avec deux épisodes plus calmes, l'un joué à la flûte suivie de la clarinette, l'autre étant un épisode concertant des cordes. La musique s'agite de nouveau dans un crescendo qui mène à une conclusion frénétique. 

Lors de la première, le pianiste Sviatoslav Richter, dédicataire de la Sonate n° 7, a livré ses impressions : « La Cinquième reflète la profonde maturité interne de Prokofiev. Elle est aussi un retour en arrière : le compositeur se retourne sur son passé, sur ce qu'il a vécu. Il y a quelque chose d'olympien dans ce panorama. »

 

Pierre Verdier 

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